Bulletin des Auteurs – Comment le financement participatif vous a-t-il permis de vous émanciper de votre éditeur ?
Christophe Ansar – Les relations avec notre ex-éditeur, chez qui nous avions publié Alésia, étant devenues pénibles, pour créer Gergovie la victoire nous avons décidé, Silvio Luccisano, Jean-Louis Rodriguez et moi-même, de fonder une association, Gallia vetus.
L’investissement total était assez important. Un bon tiers de cette somme a été avancé par plusieurs membres de notre association, ce qui a permis de démarrer le projet en finançant le dessin des planches. Un prêt bancaire nous a aidés à régler le coloriste Hugo Poupelin ; restait l’impression. Certes, nous avons obtenu une subvention de la commune de La Roche-Blanche, utile mais insuffisante, aussi nous nous sommes tournés vers le financement participatif via Ulule.
Sur une campagne de 70 jours, nous avions fixé un plafond de 3500 euros dans l’espoir d’en avoir plus, ce qui fut fait. Plusieurs contreparties étaient proposées aux contributeurs, allant de 20 € à 300 € avec deux versions de l’album, normal et collector. En quatre jours l’objectif était atteint et la campagne a continué. Nous avons pris soin d’animer l’offre, en dévoilant, par exemple, la couverture au cap des 100%, en offrant des ex-libris à celui des 150%. L’usage de Facebook et de Twitter a donné des impulsions, les derniers jours de souscription ont connu une nette poussée. Au final, nous avions atteint 8105 euros et 231 % de notre objectif. Ulule a prélevé 8% du total avant de nous reverser le reste.
Restait un gros travail, celui de préparer les albums et de les envoyer aux contributeurs. C’est une tâche ardue, fastidieuse et chronophage, qui, avec 186 souscripteurs, s’est étalée sur plus de 4 mois.
Le financement participatif, ce n’est pas que des chiffres c’est aussi adhérer à un projet, vouloir le soutenir.
L’impression, à 5000 exemplaires, et 550 albums collector, nous est revenue à 11500 euros. L’album a été imprimé en quadrichromie et fabriqué en France sur du papier Vosgien. Nous sommes fiers de ce produit et le public est sensible à cette qualité. Aujourd’hui, après six mois de ventes, les sommes avancées ont été remboursées. Le statut de l’association nous permettra de toucher des droits d’auteur qui seront plus importants que ceux que nous versaient les autres éditeurs.
B.A. – Comment êtes-vous diffusés et distribués ?
Ch. A. – Nous avons choisi un diffuseur, Makassar, qui prend 60% sur le prix du livre, pourcentage qui inclut la diffusion, à hauteur de 10%, la distribution, qui représente 20%, et la part libraire pour 30%. Dans le commerce, l’album est vendu 17 euros TTC. Le diffuseur nous reverse donc 6,40 euros par album vendu. Les albums collector, numérotés et qui ne seront pas réédités, ne sont pas commercialisés, ont un numéro ISBN, mais pas de code-barres, et sont vendus par nos soins, lors de la rencontre avec le public sur festivals BD.
B.A. – Aviez-vous signé, en amont, une convention initiale entre auteurs ?
Ch. A. – Nous nous connaissions, pour avoir déjà travaillé ensemble, et nous avons fonctionné sur la confiance. Cela a été une aventure humaine avant tout. Nous nous sommes préoccupés d’écrire un contrat équilibré avec l’éditeur et entre co-auteurs. Le Snac nous a aidés à rédiger ce contrat, notamment dans la perspective d’un nouvel album. Les charges de travail n’étant pas les mêmes, la clef de répartition y est établie en proportion. Mais les termes du contrat sont identiques pour chacun, et la clef est transparente.
B.A. – Signerez-vous encore avec un éditeur classique ?
Ch. A. – Le public intéressé par l’Histoire est assez fidèle et pourra nous suivre dans une autre aventure. Nous sommes libres de nos choix éditoriaux et cela n’a pas de prix. Il y a d’autres projets, des institutions s’intéressent à nous. Je ne vois pas quels avantages pourraient nous offrir un éditeur classique. Nous nous inscrivons dans une nouvelle tendance d’émancipation, qui va s’affirmer, grâce aux nouvelles technologies.
(Cet entretien est paru dans le Bulletin des auteurs n°129, en avril 2017)
Couverture GERGOVIE la victoire
Crédit : Luccisano – Ansar – Rodriguez – Poupelin / GALLIA VETVS 2016