Premier point
Ma désapprobation de ce rapport centralisateur et normateur (faiseur de normes) porte en premier lieu sur cette affirmation que les auteurs doivent être professionnalisés et électeurs pour que leurs revendications soient entendues. Le rapport prouve qu’elles l’ont été (perçues mais non entendues) par le pouvoir central puisque politiquement il lui faut instrumentaliser les impasses-réponses qu’il promeut dans ce même rapport. Or, aucune réponse, aucune garantie ne sont données à leurs résolutions hormis un montage bureaucratique complexe dont l’articulation avec les instances de décisions ne sont pas établies, mais se résumant à informer le ministère, le même qui a (au nom du gouvernement) généré les conditions de leur existence.
C’est donc infirmer le rôle, la fonction et l’efficacité des syndicats et groupements associatifs libres pour pouvoir opérer un regroupement sous contrôle de quelques structures dites représentatives qui seraient, elles seules, légitimes puisqu’élues selon des procédures non déterminées alors que ce sont les revendications portées jusqu’à ce jour par ces syndicats et groupements qui sont la base édulcorée des impasses-réponses données par ce rapport qui les instrumentalise.
Ce rapport projette de professionnaliser la fonction d’auteur, de créateur, qui ne serait légitime et présentable que si représentée à l’issue d’élections aux modalités floues.
Je comprends que pour bénéficier au titre d’auteur de retombées légitimes et de sécurité sociale, retraite… il faille justifier de ses revenus d’auteur, avec, selon leur importance, les distinguos neutres d’affiliés et d’assujettis, disparus aujourd’hui, bien qu’« assujetti » soit un terme fort déplaisant. Mais ces distinguos n’étaient qu’administratifs et ne déterminaient en rien le profil d’auteur du compositeur. Par exemple, encore maintenant, pour obtenir une commande d’État, une aide du FCM ou peut-être du CNM naissant, être assujetti ou affilié, français ou étranger, n’était pas pris en compte, mais et seulement la qualité, la compétence de création.
Le projet Racine classera, étiquettera les auteurs en un niveau financier ou suffisant ou insuffisant selon leurs droits perçus, créant, via le Conseil national et via le ministère, un statut-fixation des professionnels et l’agglomérat d’un sous-prolétariat de la création.
Ce qui produit les situations financières pourrait idéalement être le talent, mais malheureusement il ne suffit pas d’être estampillé professionnel pour avoir du talent, il faut du métier.
C’est pourquoi avoir du talent et donc du métier et ne pas être catalogué professionnel est inacceptable, quand bien même les créations ne rapporteraient pas assez.
Ces catégories de compositeur « professionnel » et de compositeur « amateur » ou, pire encore, « occasionnel », sont à bannir.
Être compositeur n’est pas un salariat, c’est un état et un étant, hors contingences de temps, créateur de ce qu’il advient. Et on ne peut simultanément être et ne pas être.
Plus modestement et lexicologiquement, si l’on interroge le dictionnaire, il définit « professionnel » en multisens, comme il convient :
1) – parlant d’une pers. : qui exerce un métier, une profession donnée ; qui a les qualités, l’habileté requises pour les exercer.
– en parlant du comportement d’une pers. : qui relève de la personne de métier, de la compétence, de l’habitude à exercer un métier.
2) – par ext. : qui fait sa principale activité de quelque chose, qui en tire ou non ses revenus.
Et métier :
C) – par anal. : rôle social, intellectuel, politique joué dans la société
D) – par méton. : habileté, savoir-faire dans la production ou l’exécution manuelle ou intellectuelle acquis par l’expérience, la pratique que confère un métier ou une activité permanente.
Un compositeur qui doit exercer une (des) activité(s) complémentaire(s), voire subsidiaire(s) (enseignement, scène ou autres) pour améliorer l’ordinaire que ses créations lui rapportent, est inéluctablement tout autant professionnel.
D’autant que talent ou pas, ce qui détermine fortement le taux de rémunération, c’est d’une part le genre, le style, la spécialité musicale et, d’une autre, l’appartenance à un réseau et, d’une autre part encore, la ville d’exercice. L’expression « monter à Paris » sous-entend bien ce qu’elle veut dire.
Le Snac est bien conscient de ces causes / effets socialo-économico-culturels puisque les adhérents compositeurs s’inscrivent à leur choix dans trois groupements.
Il est donc inacceptable que l’appellation « amateur » ou « occasionnel », qui de fait est stigmatisante dans l’environnement professionnel, soit appliquée à ces compositeurs de talent ou pas, qui ne peuvent subsister de leurs seuls revenus Sacem, commandes, ou autres mais qui ne sont pas moins personnellement et socialement professionnels.
Ce n’est pas l’argent, la nomenclature du Siret, qui détermine la « qualité », le niveau de professionnalisme, mais la reconnaissance par le public, les collègues, ainsi que gens, institutions et opérateurs, eux effectivement professionnels du marché. Si je me permets de prendre mon exemple (non pour le talent mais le métier), je suis sociétaire définitif depuis 1987, compositeur de musique dite contemporaine et n’ai jamais pu vivre de mes répartitions.
La diffusion d’un single sur les réseaux et médias génère en droits des niveaux sans commune mesure avec un concert en salle de musique contemporaine.
Le plus simple et respectueux est donc de ne pas acter de distinguos basés sur les revenus et de considérer que les compositeurs, dotés ou mal lotis, ressortent à l’espèce générale des compositeurs, configurée en genres spécifiques aux déclinaisons particulières. Le droit d’auteur est leur lot commun, protecteur, qui confère à son bénéficiaire le titre de « compositeur », que son audience soit parcimonieuse ou grande. La Sacem ne fait pas de distinguos, elle perçoit, elle répartit à ses 169 400 créateurs et 6210 éditeurs les 140 millions d’œuvres dont 1,9 million d’œuvres déposées chaque année, utilisées par ses 506 000 clients. Ces derniers chiffres par eux seuls signifient la réelle démesure entre la capacité d’action d’un rétrograde Conseil national adossé à un ministère chiche de ses moyens et l’immense voire insensée autoproduction support internet qui n’a que faire de distinguos et de qualité.
Pour en revenir au rapport Racine, dont le schéma des trois niveaux manifeste bien la mise sous contrôle régulateur étatique en accord avec de soi-disant instances de dialogue dont les membres ne représenteraient qu’eux-mêmes et leur suivisme intéressé, ce schéma sera examiné dans le point suivant.
« La musique est née libre et son destin est de conquérir la liberté. » – Ferruccio Busoni
Deuxième point
À observer le schéma intitulé « la future architecture à trois niveaux », le cercle contenant les « Artistes-Auteurs professionnels » est fléché vers « Élections professionnelles », permettant le passage aux « Organisations représentatives » (dont les critères ne sont pas définis ni la sélection opérée), ce cercle étant également fléché direct vers la case « Drac + Opérateurs – Collectivités et agences spécialisées ».
On pourrait donc croire que pour les Artistes-Auteurs professionnels il y a un libre accès à ce niveau territorial dont la mission cependant réduite est celle d’animer au niveau territorial et non pas de créer ni de diffuser.
Sauf que les collectivités ne sont pas plus concernées par les « Opérateurs » CNM et « Conseil National » (carré supérieur) et que l’appellation « Agences spécialisées » ne précise pas si elles sont publiques ou privées ni même ce qu’elles sont, leur périmètre, leurs fonctions.
Les cadres « Instances de négociation » et « État » du schéma « future architecture » n’ont pour seule liaison que celle de l’application des accords sectoriels, et encore n’est-ce qu’au service des médiateurs ! Médiateurs et opérateurs, au niveau appelé « Sectoriel, protéger et soutenir », ne sont fléchés, eux, sur rien, l’impasse bureaucratique en est donc évidente. L’articulation entre « Conseil national » et « Opérateurs » ou « Médiateurs » ou « DRAC » n’existe pas, ce qui laisse pleins pouvoirs à « MMC », « DGCA / DGMIC », c’est-à-dire l’État, by-passant les « élus » dits professionnels du Conseil national.
Dès lors, quelle raison peut présider à la création d’un / de ce Conseil national, inexistant à ce jour quand le CNM existe et prétend répandre la manne ?
Précisons que les opérateurs sont présentés comme des acteurs « Politiques globales », l’absence d’article posant problème, car un « de » serait moins déterminatif qu’un « des », ce qui même en cette indétermination est de toute façon inquiétant.
Ce « Niveau sectoriel – Protéger et soutenir », mais de quoi et pour qui, indique en fait que les flèches descendantes devraient être remontantes, puisque le décisionnel se fera évidemment via les DGCA, DGMIC, CNC cadrés par le MCC, lesquels sont bien nommés « Régulateurs », c’est-à-dire encadreurs et contrôleurs.
Les DRAC resteraient donc bien isolées, à discrétion des enjeux politiques locaux (collectivités) et de celle du plan de carrière du préfet de région, puisqu’apparemment sans liaison avec le niveau national et transversal. Mais il est vrai que leur mission étant d’« Animer le Territoire » ne requiert guère ni budget conséquent ni contrôle ni régulation étatiques.
On doit noter également et symboliquement que les « Instances de dialogue et de négociation » ne débouchent que sur la faisabilité d’« Accords sectoriels » qui ne concerneraient que le livre, le cinéma et la musique (quid des autres ?), unique point de contact / effet avec le « Niveau national et transversal » et sans liaison avec des objectifs concernant création et diffusion.
Sauf que pour alourdir encore cet intermédiaire (le Conseil National) déjà inutile et alourdir le système mais permettant de le contrôler effectivement, la recommandation n° 9 du rapport vient à propos renforcer cette mainmise et nous dit ce qui n’est pas dessiné dans le schéma (et pour cause car éclairant la totale inanité de ce projet) : la création d’une délégation (regroupant qui et comment nommés ?) aux auteurs dans le cadre du MCC en tant que point d’entrée UNIQUE, non pas au service prétendu des auteurs, mais :
– « chargée de coordonner la politique des artistes-auteurs du ministère de la culture et de ses établissements publics », donc de contrôler tout ce qui ressort du public
– « de piloter la concertation territoriale animée par les DRAC », donc une concertation représentée par les préfets de l’État
– « de préparer les réformes », pour qu’elles conviennent sans difficulté (!?)
– « et d’assurer le secrétariat du Conseil national », affichant ainsi l’absence totale d’indépendance de ce dernier.
À la page 62, le texte précise : « Enfin, le rôle de chef de file des DRAC pour les politiques interministérielles concernant les artistes-auteurs pourrait être affirmé, passant par la désignation en leur sein d’un référent « auteurs » qui soit [et non serait] le point d’entrée de tous les secteurs de la création représentés à l’échelle du territoire. »
Encore un référent intermédiaire en libre arbitre par rapport aux intéressés, et mis en place pour affirmer les politiques interministérielles…
Reprenons mon antérieure conclusion pour confirmer combien ce schéma des trois futurs niveaux qui synthétisent le projet Racine manifeste bien la mise sous contrôle régulateur étatique en accord avec de soi-disant instances de dialogue dont les membres hypothétiquement élus ne représenteraient qu’eux-mêmes et leur suivisme intéressé, détournant ainsi le terrain de la négociation des syndicats et groupements représentatifs de l’ensemble, sans distinguos, des autrices et auteurs.
Photographie de Christian Clozier – Crédit : Clarisse Clozier