Au prétexte de mieux défendre les artistes-auteurs, les créateurs plus généralement et probablement les compositeurs bien que non cités, tous mêlés et dont les organismes de représentation actuelle (associatifs et syndicaux) lui apparaissent insuffisants (de définir un nouveau cadre de concertation, dans lequel ceux-ci seraient mieux représentés), Bruno Racine dans son rapport, « L’Auteur et l’acte de création », prévoit la création d’un Conseil national des artistes-auteurs, dont les représentants élus par les intéressés assureraient le lien et la promotion avec les appareils d’État centraux ou décentralisés, les diverses caisses et les organismes de gestion de droits sociaux, santé, retraite… (Une multitude de structures, de natures diverses, ont pour objet, chacune dans son domaine, de s’exprimer au nom des auteurs et de défendre leurs intérêts… Les instances de représentation existantes sont trop faibles ou contestées pour permettre un véritable dialogue social. En l’absence d’élections professionnelles, aucune structure ne peut se prévaloir d’être représentative au sens où l’entend le code du travail, d’où la relative faiblesse des syndicats autoconstitués… Postulant la légitimité d’une « politique des auteurs », la mission conclut à la nécessité pour l’État de s’affirmer dans son triple rôle de régulateur et garant des équilibres, de promoteur de l’excellence, de la diversité et de la prise de risque, tout en se montrant lui-même un acteur exemplaire.)
Il n’y a pas lieu ici de revenir sur les analyses de ce rapport déjà produites ici et là et notamment au Snac, Bulletin des Auteurs n° 141, mais de s’interroger sur qui sont ces intéressés dont quelques recommandations proposent modalités et critères de sélection. À noter bizarrement que les recommandations 4-5-7 sont considérées en ordre inverse d’un déroulé organisationnel 7-5-4, à moins que l’essentiel du projet ne porte en fait sur la catégorisation, la nomenclature, le triage entre auteurs et créateurs, les uns dits « professionnels » et les autres dits « y a pas de nom », mais peu importe puisqu’ils sont déterminés comme hors-jeu :
recommandation n° 7 : Créer un Conseil national composé des représentants des artistes-auteurs, des organismes de gestion collective et des représentants des producteurs, éditeurs et diffuseurs, chargé de formuler des propositions et de conduire les négociations collectives sur tout sujet intéressant la condition des artistes-auteurs ainsi que leurs relations avec les exploitants des œuvres.
Puis,
recommandation n° 5 : Organiser rapidement des élections professionnelles dans chaque secteur de création artistique afin de doter les artistes-auteurs d’organisations représentatives, financées par les organismes de gestion collective.
Selon les modalités :
recommandation n° 4 : Ouvrir le droit de vote à des élections professionnelles à tous les artistes-auteurs remplissant la condition de revenus (900 fois la valeur moyenne du Smic horaire) au cours d’au moins une des quatre années écoulées ; dans un second temps, prévoir les modalités permettant d’associer aux élections les artistes-auteurs ne remplissant pas la condition de revenus mais pouvant être regardés comme professionnels au regard de critères objectifs, lorsqu’ils en font la demande.
L’important est donc d’édicter qui pourra être des collèges d’électeurs et d’élus. L’objectif annoncé étant d’ouvrir le droit de vote à des élections professionnelles… dans chaque secteur de la création artistique, il importe de s’assurer des liens claniques et d’intérêt de ceux qui constitueront, avec les régulateurs du marché, la création de ce Conseil national en charge de conduire les négociations collectives… Conseil, plutôt organisme parapublic de cogestion avec le ministère, dégageant ainsi les associations et syndicats acteurs de leur légitimité actuelle et privant ainsi leurs adhérents de représentativité indépendante sur la base de leur engagement personnel et de leur volontariat. « Dégagez », pensent-ils, nous sommes là pour cela, le terrain des interventions et des négociations pour les intérêts des artistes-auteurs est pour nous, en ligne directe. (voir pour exemple l’organigramme de sa future architecture à trois niveaux analysé dans le déjà cité Bulletin des Auteurs n° 141 du Snac).
Cette inacceptable et désobligeante mise arbitraire à l’écart des organisations actuelles ayant déjà été commentée, considérons la procédure électorale annoncée pour y parvenir.
L’élément majeur est l’obligation de critères définissant un statut professionnel de l’artiste-auteur. En fait celui déjà en pratique aux seins des Agessa et MaisondesArtistes.
OR, chez ces derniers, leur fonction était de percevoir et répartir les droits sociaux corrélatifs à des travaux rémunérés effectués (commandes, droits d’auteur, activités annexes), les critères financiers retenus certes pénalisant pour certains aux revenus trop faibles, ne visaient à qualifier que les retombées pécuniaires et non la qualité intrinsèque de l’auteur ou de l’œuvre.
Je comprends que pour bénéficier au titre d’auteur de retombées légitimes et de sécurité sociale, retraite… il faille justifier de ses revenus d’auteur, avec selon leur importance le distinguo affligeant entre affiliés et assujettis (disparu récemment), « assujetti » étant en soi un terme fort déplaisant. Mais ces distinguos n’étaient qu’administratifs et ne déterminaient en rien le profil de l’auteur ou du compositeur.
Dans le cadre des élections professionnelles raciniennes, il s’agit de la personne même, de l’identité de l’auteur qui est en cause, qui est reconnue ou non selon ses revenus, et subséquent de son droit démocratique au vote, de son éligibilité et de sa représentabilité parmi ses collègues. Le projet implique donc une normalisation exécutoire de ce qu’auteur professionnel veut dire, implique et projette ainsi de professionnaliser la fonction d’auteur, de créateur, qui ne serait légitime qu’à certaines conditions économiques et dont la représentation sociale ne serait accordée qu’à l’issue d’élections censitaires.
Le projet Racine classera, étiquettera les auteurs en niveaux financiers suffisants ou insuffisants selon leurs droits perçus, créant ainsi via le Conseil national et via le ministère, un statut-fixation des professionnels reconnus et l’agglomérat d’un sous-prolétariat de la création.
Ces deux classes ou typologies imposées aux compositeurs et aux autres auteurs, dérivent des deux visages, deux faces du terme professionnel, ceux et celles d’un adjectif qualificatif reconnaissant la valeur artistique et le niveau de compétence du savoir-faire et celle d’un substantif, nominatif, lequel renvoie à quelqu’un qui vit de son métier, donc des revenus. Ainsi, selon son acception nominale ou adjectivale, le terme professionnel présente deux sens divergents puisqu’un non-professionnel nominal peut en avoir la qualité adjectivement :
– comme nom, – parlant d’une pers. : qui exerce un métier, une profession donnée ; qui a les qualités, l’habileté requises pour les exercer ; par ext. : qui fait sa principale activité de quelque chose, qui en tire ou non ses revenus.
– et métier, – par méton. : habileté, savoir-faire dans la production ou l’exécution manuelle ou intellectuelle acquise par l’expérience, la pratique que confère un métier ou une activité permanente.
– comme adjectif, indice de qualité, de savoir-faire, faisant autorité.
Ce qui produit les situations financières pourrait être, non l’appellation, mais idéalement le talent, malheureusement il ne suffit pas d’être estampillé professionnel pour avoir du talent, il faut du métier. C’est pourquoi avoir du talent et donc du métier et ne pas être catalogué professionnel est inacceptable quand bien même les créations ne rapporteraient pécuniairement pas assez. Complémentairement, il importe de souligner, encore et toujours, le facteur qui rend difficile la définition du statut de professionnel, à savoir le caractère très disparate des conditions de rétribution selon la discipline artistique et dans celle-ci selon ses différents genres et même dans ceux-ci les différentes esthétiques.
La musique en est un très bon exemple au Snac puisqu’elle se répartit en trois groupements génériques qui regroupent des styles différents sinon divergents. Or bien évidemment, chacun des genres, dont les moyens et coûts de production diffèrent tout comme les modalités et réseaux de diffusion, génère des retombées financières évidemment différenciées au sein du commerce culturel globalisé. Chacun des genres a sa qualité propre voire spécifique, tout comme les droits perçus.
Ce n’est pas l’argent, la nomenclature du Siret, qui doit déterminer la « qualité », le niveau de professionnalisme, mais la reconnaissance par le public, les collègues, les institutions voire la formation. Être compositeur n’est pas ressortir d’un salariat, c’est un état et un étant, hors contingences de temps, créateur de ce qu’il advient. Et on ne peut simultanément être et ne pas être.
La définition pécuniaire du qualificatif professionnel, impliquant deux classes selon des revenus au-dessus / au-dessous de 900 fois la valeur moyenne du Smic horaire, est des plus dévalorisante, inappropriée, indigne, quasi offensante et outrageuse.
Premièrement, une création ne se compte pas en temps de travail, manuel ou intellectuel.
Deuxièmement, un créateur ne « travaille » pas que le temps seul de la réalisation de l’œuvre, de la production du bien artistique et culturel. Il y a celui, non scalaire, de la réflexion, de la documentation, de la mise à jour des connaissances, celui de la préparation, de la recherche et de l’expérimentation.
Troisièmement, une frontière à 900 fois la valeur moyenne du Smic horaire est établie et prorogée. Les bureaucrates édicteurs ont-ils considéré dans sa lamentable évidence financière cette jauge ?
Un créateur, une autrice, un compositeur.trice accède au statut de « Professionnel » à la condition que ses œuvres lui rapportent 7 236 euros net par an, soit 603 euros par mois pour 900 heures estimées de travail à 8,04 euros chacune. Un autre créateur qui touche 602 euros par mois n’est pas « Professionnel », ne peut voter, être représenté…
Et cela pour 900 heures, c’est-à-dire 25,7 semaines ou 6,5 mois de travail quand en fait et si, intégrant on double arbitrairement le temps de travail en incluant le travail de création hors production, ce n’est plus 8,04 euros de l’heure mais 4,02 euros !
Un salarié qui est en rupture professionnelle peut espérer une aumône de 560 euros de RSA mensuel.
Le travail « professionnel » du créateur artiste-auteur a donc pour limite reconnue de revenus pas même ceux du RSA.
Peut-on, doit-on parler de professionnel avec de telles conditions de rémunération ?
Le système établi résout contradictoirement cette interrogation, car si affiliés et assujettis sont des termes disparus, leurs usage et normes perdurent et sont repris, énonçant lui-même :
– qu’un auteur en ces conditions ne pouvant survivre de ses seuls droits doit exercer des activités annexes, ce qui manifeste que la profession peut, ne peut s’exercer obligatoirement à plein temps, une demi-profession à revenus minorés,
– mais qu’un auteur anciennement assujetti (moins de 900 heures Smic) ne bénéficiant pas des prestations en espèces de l’assurance maladie et maternité (indemnités journalières), réservées aux anciennement affiliés, a toutefois la possibilité, alors et pour cause en difficulté financière, de surcotiser afin de pouvoir bénéficier de ces prestations en espèces de l’assurance maladie et maternité…
La sélection par l’argent est conséquemment résolument à dénier et ne peut être constitutive de l’attribution du terme de professionnel. Ce terme, dont la connotation de reconnaissance de qualité et de savoir-faire dans son versus adjectival, pose toute l’ambiguïté, ne peut, ne doit être phagocyté. Le statut ne peut, ne doit dépendre du numéraire.
À considérer que le Conseil national se constituerait au bénéfice des auteurs, il se devrait de représenter les intérêts de TOUS les auteurs. Or, ce projet de Conseil national propose un régime de suffrage censitaire, réservé aux créateurs hors seuil 900, réactualisé cens électoral, en fait un organisme ploutocratique. La nuit du 4 août y avait mis fin, plus exactement la constitution de l’an I. Ce suffrage indu a certes réapparu au gré des intérêts particuliers mais a disparu des pratiques républicaines. Apparemment pas pour tout le monde…
Le site du Snac a récemment republié ses engagements et valeurs, dont cette affirmation : « Le Snac n’utilise aucun critère “professionnel” : chaque membre est libre de sa propre qualification. »
Ce positionnement auquel j’adhère fortement, me semble devoir être au centre de nos réflexions et commentaires sur le projet de Conseil national des artistes-auteurs.
Le plus simple et respectueux est donc de ne pas acter de distinguos basés sur les revenus et de considérer que les compositeurs, dotés ou mal lotis, ressortent à l’espèce générale des compositeurs, configurée en genres spécifiques aux déclinaisons particulières. Le droit d’auteur est leur lot commun, protecteur, qui confère à son bénéficiaire le titre de « compositeur » et d’« auteur », que son audience soit parcimonieuse ou grande.
Le niveau des perceptions de revenus, non seulement ne doit mais ne peut plus être attributive de l’appellation « professionnel ». Alors réfutons toute valeur et toute utilisation discriminatoire à ce fumeux terme générateur de discorde et de ségrégation par ailleurs tant banalisé en nombre d’expressions courantes qu’il en a perdu tout sens.
Si le Conseil national se constituait effectivement en maintenant le suffrage censitaire actuellement retenu, le Snac, en cohérence avec son identité et ses valeurs, a élaboré un tableau de contre-critères, ou plus exactement de critères « électoraux » respectueux des artistes-auteurs/autrices/compositeurs/compositrices garantissant un suffrage universel. Publié dans ce Bulletin en page 3, à chacun de le promouvoir au nom d’une égalité collégiale pour tous.
Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 142 (septembre 2020)
Photo : Christian Clozier – Crédit : Clarisse Clozier.