Ecrire ou créer des œuvres est un métier.
Au regard de la réforme des retraites présentée par le gouvernement et de l’importance de celle-ci sur les changements paramétriques pour le calcul des droits à retraite pour l’ensemble des personnes dépendant de la législation française, où est la place des auteurs et des autrices ? Sans doute cette catégorie professionnelle minoritaire et marginale de travailleurs « assimilés salariés » mais « pas salariés » pèse-t-elle autant que l’ombre d’une plume.
Les débats dans les Chambres (Assemblée nationale et Sénat) furent pleins de rebondissements, animés, passionnés, violents, comme dans une série télé ou un polar. Avec motions de censure pour conclure la série.
A aucun moment, il n’a été question ou il n’a été possible de faire entendre la spécificité des métiers d’auteurs ou d’autrices.
Le processus législatif est bouclé, même s’il reste à connaître le résultat des éventuels recours devant le Conseil constitutionnel et le calendrier adopté pour la rédaction et la publication des nombreux décrets d’application nécessaires.
Après les débats à l’Assemblée nationale où seulement 2 articles de la réforme sur 20 ont été discutés sans qu’un vote ne vienne finaliser une semaine de discussions, après 10 jours de débats au Sénat pour en arriver au vote d’un texte accouché aux forceps à moitié débattu, après une CMP aboutissant à un résultat présenté à l’Assemblée nationale mais avec le fameux 49.3, après de nombreuses et fortes mobilisations unitaires de l’ensemble des structures syndicales ayant conduit à de vastes manifestations dans la rue et à de fortes mobilisations dans les entreprises, après avoir constaté comme d’autres que ces débats dans les instances parlementaires mènent davantage à un plébiscite qu’à un réel vote concluant raisonnablement une discussion politique,
Le Snac tenait à exprimer (comme dans un communiqué publié en janvier dernier) toute l’inquiétude que la réforme inspire aux auteurs et autrices et à leurs organisations professionnelles.
L’idée même d’avoir une carrière complète au sens de la réforme proposée, soit 43 années de cotisations au titre de ses activités de création, est un pur non-sens pour les créateurs et créatrices d’œuvres de l’esprit.
La réalité est que, lorsqu’un auteur ou une autrice commence à vivre de son métier, sa « carrière » sera le plus souvent écourtée : par les goûts changeants du public, par la nécessité de rester dans le feu de la modernité, d’avoir une image « jeune » pour séduire et accrocher la lumière des médias afin de faire la promotion de son œuvre. Bref, en matière de créations d’œuvres, la « carrière des séniors », sauf exceptions, est un simple mirage.
Les débats ont mis en avant pour certaines catégories d’assurés sociaux les spécificités de leurs métiers marquées par leurs difficiles conditions de travail : décalage horaire, pénibilité, usure physique, etc. Mais l’insistance sur les différences sert à faire passer tous les arguments avancés, car il y a dans cette loi une négation des limites du corps, que le travail soit physique ou intellectuel.
Le travail de création n’est pas celui de l’enlèvement des ordures, mais la fatigue psychique remplace la fatigue physique. Le fait est que pour certains métiers d’auteurs ou d’autrices, également interprètes en musique ou en danse, l’usure du corps est une réalité. L’impact durable sur la santé est évident pour un sculpteur ou une sculptrice qui travaille sur un matériau de pierre ou de fer, pour l’instrumentiste qui sollicite tout ou partie de son corps. Le fait est que pour certains métiers d’auteurs et d’autrices, les conditions de travail décalées sont la règle, par exemple dans le spectacle vivant. Le fait est qu’il est commun à tous les auteurs et autrices de connaitre la précarité psychologique s’ajoutant à la précarité financière. L’incertitude des revenus professionnels d’auteurs ou d’autrices est conditionnée par le succès de l’exploitation de leurs œuvres et la variation de leurs revenus résulte naturellement des aléas de l’exploitation des œuvres.
Les auteurs et autrices le sont par choix, et on n’est pas obligé de croire au mythe de l’œuvre qui naît forcément de la souffrance. Mais les auteurs connaissent l’usure de l’esprit, le stress, les tensions psychologiques allant pour certains ou certaines jusqu’à la dépression.
A l’issue de tous ces débats sur la réforme du régime de retraite en France sans aucune approche concernant la spécificité des artistes-auteurs et autrices, sans aucune réunion organisée à l’initiative du ministère de la Culture qui n’avait probablement rien à dire ou pas d’avis sur le sujet, toutes ces questions, ces inquiétudes restent donc sur la table et conduisent à s’interroger.
La conséquence de cette réforme sera de fragiliser les forces vives et le moteur de la création des industries culturelles. (secteurs économiques essentiels pour le pays en termes d’emplois et de chiffre d’affaires).
À nouveau, avec cette évolution des règles, se pose la question de savoir si on peut vivre du seul métier de créateur d’une œuvre — et bénéficier d’une retraite correcte. Vous savez, cette question qu’on pose souvent aux auteurs ou aux autrices quand on leur demande ce qu’ils font : mais autrement, votre vrai métier, c’est quoi ?
Si l’on est auteur ou autrice, faudra-t-il avoir un « vrai » métier pour se garantir un niveau minimal de retraite ?
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