Bulletin des Auteurs – L’Ataa a pris l’initiative de rencontrer la Ficam le 16 novembre dernier.
Stéphanie Penot–Lenoir – Depuis plusieurs années les auteurs se plaignent de leurs conditions de travail, avec une baisse des tarifs, une pression sur les délais, une multiplication des tâches annexes à l’adaptation sans ajustement de la rémunération. Depuis un an, des auteurs se sont regroupés en collectifs et sont allés frapper à la porte de certains prestataires, en premier Dubbing Brothers, qui est en France le numéro Un du secteur, et dont les tarifs n’avaient pas augmenté depuis vingt-deux ans. Six ou sept négociations avec d’autres prestataires sont en cours ou ont abouti dans le doublage, d’autres actions sont menées en sous-titrage. Pour capitaliser sur ces actions et la dynamique du dialogue qui s’est engagé, mais aussi pour aller plus loin en tant qu’organisation professionnelle, nous avons voulu réouvrir le dialogue avec la Ficam. Une charte des bons usages avait été signée sous l’égide du CNC en 2011, qui prévoyait des réunions tripartites régulières, au moins annuelles. Malgré les sollicitations de l’Ataa et du Snac en ce sens, ces réunions n’ont jamais eu lieu. Certains éléments de la charte ont été appliqués, d’autres pas du tout. Le CNC n’a jamais répondu à nos demandes réitérées.
Estelle Renard – Lors de cette rencontre informelle de l’Ataa avec la Ficam, qui avait pour but de prendre la température, de voir comment nous pouvons faire appliquer ce qui est dans la charte, nous avons eu la bonne surprise de voir, aux côtés des interlocuteurs de la Ficam, que des prestataires très implantés dans le marché, membres de la Ficam, avaient souhaité être présents. Cela témoignait sans doute d’une certaine crainte de leur part, face aux lettres qu’ils avaient reçues, signées par les trois quarts de leurs auteurs. Mais c’est surtout un signe fort que les auteurs sont aujourd’hui davantage entendus et considérés, et que les prestataires sont prêts à travailler avec nous.
La Ficam a d’emblée écarté l’hypothèse de négociations tarifaires collectives, qui pourraient, selon elle, être interprétées comme une entente illicite, dans un secteur où la concurrence doit pouvoir s’exercer librement. Les discussions devaient contribuer à améliorer les relations auteurs/ prestataires, à assainir le marché et à trouver ensemble les voies qui permettent d’éviter ce type de frondes et de réclamations, mais l’écriture d’une grille tarifaire était pour eux hors de question.
B. A. – Que pensez-vous de ce discours ?
S. P.-L. – C’est un point qui me semble discutable. Les perspectives peuvent évoluer avec récemment des signes encourageants au plan national et européen, notamment la Directive européenne de 2019 et tout le travail que fait l’Association européenne des traducteurs audiovisuels (AVTE). Mais pour l’instant nos discussions avec la Ficam doivent rester à un autre niveau.
E.R. – Nous avons abordé la question des tâches annexes, qui se sont multipliées depuis l’arrivée des plateformes. L’idée est de réfléchir à une grille de ces tâches annexes, non pour les tarifier, mais dans un premier temps pour séparer ce qui ressortit au travail de l’adaptation et donc est compris dans la prime de commande, des éléments périphériques, qui devraient donner lieu à une discussion parallèle pour délai et rémunération supplémentaires.
B. A. – Quelles sont ces tâches annexes ?
S. P.-L. – On nous fait remplir des tableaux, avec des glossaires, des descriptions de personnages, des résumés, destinés on ne sait pas à quoi, sans doute pas forcément utilisés, mais qui nous prennent un temps fou, qui n’avaient pas été convenus dans le cadre de la prime de commande, et qui nous sont parfois demandés deux, quatre, six mois après que nous avons rendu notre adaptation, ce qui nous oblige à nous replonger dans le projet, que nous n’avons plus aussi bien en tête.
B. A. – D’autres points ont été abordés ?
E.R. – La charte de 2011 prévoyait l’utilisation d’un modèle d’accusé de réception de commande, qui n’est pas employé. Nous souhaitons travailler à un modèle de contrat de commande avec la Ficam et avec les commanditaires. Actuellement, nous signons un contrat avec nos prestataires, dont les conditions leur sont imposées, selon eux, par les commanditaires. Les trois parties, auteurs, prestataires et commanditaires, devraient s’asseoir autour de la table, avec le CNC s’il acceptait de nous accompagner, afin de bâtir une trame assez encadrante et contraignante pour être avalisée par des commanditaires anglo-saxons ou nord-américains, et assez souple pour être utilisée largement.
S. P.-L. – Nous comprenons en effet de ces échanges que les auteurs ont tout intérêt à affirmer les conditions dans lesquelles ils souhaitent travailler clairement et d’une même voix, afin de redéfinir les règles du marché et que les prestataires puissent s’en faire le relais auprès des commanditaires.
B. A. – Un calendrier a-t-il été mis en place pour un suivi de cette première rencontre avec la Ficam ?
E.R. – Pour l’instant non. Nous allons leur proposer de nouveaux rendez-vous. La Ficam semble avoir le même objectif que nous, d’assainir la filière pour que tout le monde travaille en bonne intelligence. Nous devrions pouvoir avancer sur la question des tâches annexes comme sur le contrat de commande.
Le principe d’une réunion tripartite a été entériné par la Ficam qui doit contacter les commanditaires en ce sens. De notre côté, nous devons nous mettre bien d’accord en amont sur ce que nous souhaitons défendre dans ce cadre. Nous allons mettre en place un groupe de travail avec des auteurs et le Snac, afin notamment de nous mettre d’accord sur les termes à employer.
B. A. – Qu’attendez-vous d’une réunion tripartite ?
S. P.-L. – L’Ataa et les collectifs d’auteurs ont réussi à rencontrer les prestataires, qui disent qu’ils sont pieds et poings liés par les commanditaires. L’Ataa a réussi également, au cours de ces dernières années, à tisser des liens et à engager le dialogue avec des commanditaires, qui nous disent ne jamais imposer des conditions de tarif insupportables aux prestataires. Parfois des conditions de délai, mais de manière exceptionnelle. Nous avons l’impression d’être les dindons de la farce. Une réunion tripartite aura l’intérêt de confronter prestataires et commanditaires, de les mettre face à nous, ensemble, pour que se défausser ne puisse plus leur être possible.
Le message que nous voulons porter aux auteurs, c’est qu’à partir du moment où on commence à ne pas se comporter comme de pauvres exécutants corvéables à merci dans un secteur que l’on pense difficile, on s’aperçoit que c’est au contraire un secteur qui se porte fort bien, où circule beaucoup d’argent, on réalise qu’il n’y a pas de raison pour que nous, auteurs, travaillions sans cesse plus pour moins d’argent, puisque si on n’est jamais augmenté cela équivaut à une baisse de tarif.
E. R. – Toute la chaîne de la création audiovisuelle dispose de moyens financiers énormes. Ceux qui sont à l’origine de la création, traducteurs, compositeurs, scénaristes, sont ceux qui profitent le moins de cette manne. Une redistribution des bénéfices serait juste et logique à entreprendre.
Crédit photo de Stéphanie Penot-Lenoir : Stéphanie Penot-Lenoir.
Crédit photo d’Estelle Renard : Jean-Baptiste Duchenne.
Cet entretien est paru dans le Bulletin des Auteurs n° 152 (Janvier 2023)