Intelligence artificielle, un mot à la mode
L’expression « Intelligence Artificielle » (IA) est à la mode depuis une quinzaine d’années en raison de l’essor rapide des technologies numériques et de l’importance croissante des données dans notre société. Les avancées en matière d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel ont permis à l’IA de devenir de plus en plus sophistiquée, ouvrant la voie à de nouvelles applications dans de nombreux domaines, y compris la création artistique.
L’IA est également devenue un sujet de plus en plus médiatisé en raison de ses implications potentielles sur l’emploi, l’éthique, la sécurité, les droits de l’homme… Certains craignent que l’IA ne prenne le contrôle de certains secteurs de l’économie, ce qui pourrait entraîner des pertes d’emplois massives.
Intelligence Artificielle VS Intelligence Humaine
L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle sont deux types d’intelligence différents, chacun ayant ses propres avantages et limites.
L’intelligence humaine est basée sur la conscience de soi, l’apprentissage continu, la créativité, l’empathie et l’expérience émotionnelle. Les humains sont capables de prendre en compte de nombreux facteurs, d’appliquer un raisonnement complexe et de faire preuve d’un jugement moral. Cependant, l’intelligence humaine peut être limitée par la fatigue, les erreurs de jugement et la difficulté à traiter de grandes quantités d’informations rapidement.
L’intelligence artificielle, quant à elle, est basée sur l’apprentissage automatique, les algorithmes et les données. Les ordinateurs sont capables de traiter de grandes quantités de données en peu de temps et de fournir des résultats précis et cohérents. Cependant, l’IA peut manquer de la conscience de soi, de la créativité et de l’empathie des humains.
Il est important de comprendre que l’IA est conçue pour compléter l’intelligence humaine, pas pour la remplacer. Les humains et les machines peuvent travailler ensemble de manière synergique pour résoudre des problèmes complexes et atteindre des objectifs ambitieux. Il est donc important de développer une compréhension approfondie de l’IA et de ses capacités, tout en mettant en valeur les compétences uniques que les humains apportent à la table.
Les différents types d’IA
L’IA faible ou étroite : C’est l’IA qui est conçue pour effectuer une tâche spécifique ou un ensemble de tâches. Elle est généralement limitée à une application ou un domaine particulier, comme la reconnaissance vocale ou l’analyse de données. Elle est souvent basée sur des algorithmes d’apprentissage automatique supervisé, non supervisé ou par renforcement.
L’IA forte ou générale : Il s’agit d’une IA qui peut effectuer des tâches complexes qui sont généralement associées à l’intelligence humaine, telles que la reconnaissance visuelle, le raisonnement, la prise de décision, etc. Elle est encore en développement et n’existe actuellement que dans les films de science-fiction.
Par exemple, il est possible d’apprendre les règles de la fugue à une IA. Nous pouvons aussi lui faire analyser les 48 fugues du Clavier Bien Tempéré, chef-d’œuvre de Bach ayant poussé l’art de la fugue à son paroxysme. Bien que ces 48 fugues soient toutes différentes et profondément originales, une IA, après avoir analysé cette œuvre, pourrait néanmoins nous décevoir en proposant une fugue d’école, correcte d’un point de vue académique, mais totalement inintéressante artistiquement parlant. Néanmoins, l’IA progresse constamment et l’algorithme « DeepBach », basé sur ses 389 chorals, donne des résultats étonnants, difficilement différenciables d’une œuvre originale qu’aurait écrite Bach.
À quoi tient alors cette différence ? Sans parler des génies, ponctuels et infiniment minoritaires (mais qui écrivent l’histoire de l’art !), quels seraient les critères qui rendent une œuvre digne d’intérêt ?
Art et Artisanat
Le mot latin Ars nous a donné à la fois artiste et artisan. La différence entre l’art et l’artisanat est souvent subjective et peut varier en fonction des cultures et des personnes. Cependant, on peut identifier certaines différences générales :
L’art est souvent considéré comme une forme d’expression créative qui est créée pour susciter des émotions ou transmettre des idées, des concepts ou des messages à un public. L’art peut prendre de nombreuses formes, telles que la peinture, la sculpture, la musique, la danse, la littérature, la photographie, etc. L’accent est souvent mis sur l’originalité, l’innovation et l’expression personnelle de l’artiste.
D’autre part, l’artisanat est généralement considéré comme une pratique qui implique la fabrication d’objets utilitaires ou décoratifs à la main, souvent à partir de matériaux tels que le bois, la pierre, le métal, la céramique, etc. L’accent est souvent mis sur la qualité, la fonctionnalité et la précision technique de l’objet fabriqué.
Cependant, nous entendons souvent qu’il existe des chevauchements entre l’art et l’artisanat, et de nombreux objets artisanaux peuvent également être considérés comme de l’art. Par exemple, une sculpture en bois peut être considérée comme de l’artisanat en raison de son utilité décorative, mais elle peut également être considérée comme de l’art en raison de sa qualité esthétique et de son expression créative.
Cette affirmation fait abstraction de la principale différence entre art et artisanat. Il s’agit de la question du sens. La réalisation d’une œuvre d’art demande à la fois un travail d’artisan, nécessaire à la perfection technique, ainsi qu’un travail d’artiste pour donner du sens à l’œuvre. C’est sur ce point que l’artiste conserve une avance considérable sur la machine.
L’art après 1945 a lui-même revendiqué exclure le sens de la création artistique. Il s’est rapidement heurté à nombre de contradictions.
Un virage pour la composition musicale – le cas JukeBox
L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans le domaine de la composition musicale. Les techniques d’IA peuvent aider les musiciens et les compositeurs à créer de nouvelles mélodies et harmonies, à explorer de nouveaux genres, à améliorer la qualité de leur composition, ou à expérimenter de nouvelles techniques de composition.
JukeBox est un modèle d’IA développé par OpenAI (développant également Chat-GPT) qui est capable de générer de la musique originale dans différents styles et genres musicaux. Il utilise des techniques de génération de langage naturel et de traitement de signal audio pour créer des compositions musicales complètes, y compris des mélodies, des paroles et des arrangements instrumentaux.
Le modèle JukeBox peut générer de la musique dans différents styles, y compris le rock, le jazz, le blues, le rap et la musique classique. Les compositions générées peuvent être de différentes longueurs et peuvent inclure des paroles en anglais ou dans d’autres langues.
Le but de JukeBox est de fournir aux artistes et aux musiciens des idées créatives pour la composition musicale, ainsi que d’explorer les possibilités créatives de l’IA dans le domaine de la musique. Il peut également être utilisé pour créer de la musique pour des films, des jeux vidéo et d’autres productions multimédias.
Je vous recommande d’aller visiter la plateforme, afin de vous faire une idée à l’aide des exemples musicaux : https://openai.com/research/jukebox
Quel avenir pour les compositeurs ?
Il nous faut voir la réalité en face. Le travail demandé à un compositeur de musique à l’image est, depuis quelques années et selon les destinations, souvent celui d’un artisan, au sens évoqué plus haut. Sans condescendance aucune, nous devons intégrer le fait qu’une grande partie de notre activité va être chamboulée.
Nous en avons eu les prémices dès le début des années 2000, avec des logiciels proposant de la musique façon Ikea. Les boucles, les clusters, les effets sonores préfabriqués se sont imposés, pour des raisons de temps et de coûts. Il ne devient plus utile de savoir lire la musique pour composer, à l’aide des machines, la musique d’un trailer ou d’un documentaire.
L’IA de type JukeBox va accélérer le processus, puisqu’une production pourra directement utiliser le logiciel de génération de musique. La progression de ces algorithmes est vertigineuse ; elle surpasse de loin un cerveau humain.
Mais n’oublions pas que le mot Intelligence a deux sens bien distincts, en français. Le sens qu’il prend dans IA (Intelligence en anglais) renvoie aux fonctions rationnelles, au logico-mathématique. Sur ce point, la machine nous dépasse depuis longtemps, et sa progression est exponentielle. Mais l’intelligence renvoie également aux facultés d’adaptation.
Il est important de souligner que l’IA ne peut pas remplacer complètement l’expérience créative et artistique humaine. Les compositeurs apportent une sensibilité artistique unique et une perspective personnelle à leur travail, ainsi que des émotions et des expériences qui ne peuvent pas être reproduites par une machine. Un cerveau humain peut également tisser des liens entre des domaines très éloignés, trouver des similitudes, et générer de nouveaux concepts. Seule une IA forte pourrait réaliser ces prouesses, et la technologie actuelle ne le permet absolument pas.
En fin de compte, les compositeurs peuvent utiliser l’IA comme un outil créatif pour explorer de nouvelles idées et stimuler leur créativité, tout en continuant à apporter leur expertise et leur expérience personnelle à leur travail. L’IA peut aider à enrichir la musique en offrant de nouvelles possibilités, mais cela ne signifie pas que les compositeurs vont disparaître.
Sylvain Morizet
Portrait de Sylvain Morizet, par Audrey Leroy.
Cette « Tribune libre » a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 153, en avril 2023.