Les équipes artistiques des productions de spectacle vivant sont confrontées à des problèmes de paupérisation et de privation de leurs droits de plus en plus importants. L’Union des Scénographes alerte les pouvoirs publics depuis plusieurs années mais rien ne bouge !
Le contexte
Au cours de ces dernières années, de profonds bouleversements, liés à la situation économique actuelle et à la transition écologique, ont marqué le secteur culturel. L’enjeu tient en un slogan du ministère de la Culture : “Mieux produire, mieux diffuser”, qui se résume pour les équipes artistiques à “Travailler plus pour être payés moins”…
Les créateurs de décors et de costumes sont parmi les premiers à avoir initié dans leur pratique une véritable transition écologique, en témoigne leur “Manifeste d’éco-scénographie” qui appelle tous les acteurs du secteur à s’inscrire dans une démarche commune d’éco-conception. Cependant, cette démarche implique un temps de travail de conception bien supérieur aux pratiques traditionnelles : recherche de matériaux de seconde main, réajustement des dessins en fonction des matériaux trouvés, réflexion sur le désassemblage des éléments…
Nos rémunérations sont forfaitaires et rarement en lien avec la réalité. Dans le contexte culturel actuel, nous devons composer avec un système de rémunération qui n’est plus soutenable. Tout semble être fait pour payer de moins en moins les équipes artistiques et leur supprimer des droits qui pourtant, dans les textes, leur sont acquis. Il est de notre responsabilité professionnelle de créer des conditions décentes de rémunération et de faire comprendre les enjeux et mutations de nos métiers.
Les faits
1 – Des salaires de misère
Ces dernières années, le monde du spectacle privé parisien a attiré la convoitise d’hommes d’affaires qui ont créé des monopoles, plus intéressés par l’aspect pécuniaire des choses que par leur caractère artistique. Cette situation a abouti à une dégradation esthétique de l’offre culturelle,accentuée par la présence des géants du divertissement sur tous les maillons de la chaîne du spectacle et de la production.
En effet, afin de bénéficier de la « Garantie de déficit » prévue par l’ASTP (Association pour le Soutien des Théâtres Privés), subventionnée en partie par les pouvoirs publics, de plus en plus de théâtres privés rémunèrent les créateurs bien en deçà du Smic ! Généralement, un scénographe travaille entre un mois et trois mois sur une création de décors (conception, production de maquettes, plans, dessins, suivi de chantier, suivi des répétitions, montage…), se verra imposer un forfait total plafonné à 1 525 € brut*, soit un taux horaire pouvant varier entre 9 € brut (pour un mois de travail) et 3 € brut (pour trois mois de travail) !!!
Le ministère du Travail a notifié, en 2023, aux syndicats représentant les producteurs, la situation de non-conformité dans laquelle se trouvent les grilles de salaires de notre convention collective. Le ministère du Travail invite à un juste rattrapage du montant des salaires des équipes artistiques et techniques dans le spectacle vivant. Ce rééquilibrage est difficilement possible en raison du contexte actuel de stagnation, voire de diminution, des subventions qu’il faudrait plutôt indexer sur l’inflation.
* : plafond de salaire brut en vigueur pour les postes “scénographe”, “costumier”, “éclairagiste” et “chorégraphe” pour bénéficier de la “garantie de déficit” proposée par l’ASTP.
2 – La non reconnaissance du statut d’artiste-auteur
Certains producteurs, dont la majorité des théâtres publics, ne reconnaissent toujours pas le statut d’artiste-auteur des scénographes, créateurs décors, costumes et lumières, pourtant inscrit dans la loi depuis 2017, et exploitent allègrement les œuvres de ces artistes-auteurs sans que ceux-ci bénéficient d’aucune contrepartie financière !
Nous espérons que le plan “Mieux produire, mieux diffuser” viendra consolider et renforcer le respect du droit d’auteur, en créant les meilleures conditions possibles de rétribution sur l’exploitation de nos œuvres.
3 – La suppression des droits d’auteur
D’autres théâtres, qui jusqu’alors respectaient la qualité d’artiste-auteur des créateurs, ne veulent plus leur régler de pourcentage sur les recettes pour l’exploitation de leurs créations. Ces théâtres récupèrent une partie du salaire qui leur est dû et le déguisent en droits d’auteur forfaitaires pour ainsi payer moins de charges.
D’autre part, il est de plus en plus difficile pour les auteurs de percevoir une rémunération dans le cadre d’une cession de droits d’exploitation en tournée.
4 – Une pression de plus en plus importante sur les artistes
Lorsqu’un créateur demande à percevoir une rémunération décente et des droits d’auteur qui lui sont normalement dûs, il lui est répondu que ce n’est pas possible et que si les conditions proposées ne conviennent pas, un autre créateur sera engagé à sa place… Il ne lui sera évidemment plus proposé de faire une création dans ce théâtre, ni dans un autre géré par le même producteur !
Certains producteurs n’hésitent pas non plus à mettre en concurrence déloyale des créateurs, sans que ceux-ci en soient informés. Chacun d’eux présente un projet et peut apprendre ensuite que, finalement, une autre création est choisie. Il est inutile de préciser qu’ils ne sont alors absolument pas rémunérés pour le travail réalisé (maquette, dessins, croquis…) pour cette création…
5 – Un travail sans contrat
La quasi-totalité des auteurs de décors, costumes et lumières commence à travailler sans avoir aucun contrat. Une fois le travail commencé, ils sont contraints d’accepter les conditions imposées par les producteurs. Si, pour des raisons financières, la production ne voit jamais le jour, les semaines de travail effectuées ne seront jamais rémunérées.
6 – Une assurance chômage qui ne reflète pas la réalité du métier
En 2015, Hortense Archambault et Jean-Denis Combrexelle ont remis au Premier Ministre leur rapport ”Bâtir un cadre stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle” dans lequel ils indiquaient :
“Une réflexion mérite d’être menée au niveau des branches sur une répartition différente de certains métiers techniques étroitement liées à la création artistique. Sans doute faudrait-il, affecter dans l’annexe 10 certaines professions aujourd’hui considérées comme techniques alors qu’elles sont attachées à la conception du spectacle et font partie de l’équipe de création. Ces métiers sont de fait souvent rémunérés de manière forfaitaire et sont très dépendants de leur nature artistique pour trouver un contrat : dramaturge, scénographe, éclairagiste, créateur costume etc…“
Les scénographes, créateurs décors, costumes et lumièresdevraient donc faire partie de l’annexe 10 de l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Aujourd’hui dans l’annexe 8, ils ne peuvent comptabiliser les heures qu’ils effectuent à l’étranger, sont limités à déclarer huit heures par jour – alors qu’ils en font régulièrement douze –, ne peuvent bénéficier de l’avantage fiscal de 5 % réservé aux artistes du spectacle et perdent des droits à la Formation Professionnelle…
Le constat effectué en 2015 n’a pas changé : les artistes sont dans une situation très fragile ; leur rémunération diminuant, le nombre moyen d’heures de travail déclarées est bien en-deçà de la réalité des heures effectuées.
Les solutions
1 – Faire appliquer les conventions collectives
L’Union des Scénographes demande que les plafonds imposés par l’ASTP soient cohérents avec le temps de travail des créateurs, afin qu’ils soient rémunérés selon le taux horaire brut en vigueur recommandé par la Convention Collective Nationale des Entreprises du Secteur privé du Spectacle vivant.
2 – Faire respecter la loi
L’Union des Scénographes demande que les pouvoirs publics fassent appliquer l’article L. 1242-13 du Code du Travail pour que les créateurs aient un contrat de travail au minimum deux jours ouvrables suivant l’embauche.
L’Union des Scénographes demande également aux pouvoirs publics de faire respecter le décret 2020-1095 du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs pour que tous les producteurs de spectacles vivants reconnaissent la qualité d’artiste-auteur de ces créateurs et leur versent les droits d’auteur qui leur sont dûs.
3 – Le changement d’annexe
L’Union des Scénographes demande à l’Unedic et à France Travail d’intégrer les créateurs / créatrices de décors, costumes et lumières dans l’annexe 10 comme ils devraient l’être depuis bien longtemps.
Merci pour toute l’aide que vous pourrez apporter aux artistes afin de conserver la qualité artistique des productions de spectacle vivant.