Bulletin des Auteurs– Une nouvelle journée « Musique & Créations » se prépare pour 2024.
Pierre Thilloy– La journée « Musique & Créations » du 30 novembre a été organisée grâce à l’investissement soutenu du groupement « Musiques contemporaines » et d’un premier soutien financier de la SEAM [Société des Éditeurs et Auteurs de Musique]. Cette subvention, financée par la rémunération pour copie privée, a été renouvelée et augmentée pour l’année 2024 autour d’un nouveau projet.
Nous proposons un regard non seulement sur les compositeurs, mais aussi sur les auteurs, et par effet de rebond, in fine sur l’éditeur : le Snac est le seul syndicat qui soit transversal à tous les métiers de la création, d’où cette idée, partagée et discutée avec Henri Nafilyan et le groupement, de réfléchir sur la relation entre auteurs et compositeurs. Si les compositeurs ont tendance à travailler sur des poèmes de Verlaine ou de Baudelaire, qui sont dans le domaine public, ou préfèrent, à l’instar de Wagner, écrire eux-mêmes le texte, on peut se demander pourquoi. Wagner est un grand compositeur mais n’est pas toujours pas considéré à ce jour comme un grand auteur. Est-il dommage qu’il n’ait pu s’adjoindre la plume d’un grand auteur ? Qu’est ce qui a conduit à une telle démarche que l’on retrouve de plus en plus aujourd’hui ? Peut-on ou doit-on regretter l’époque des mélodies (ou des lieder), quand la relation entre compositeur et auteur était directe ? On était alors dans une période où l’on créait, avant de se préoccuper des contrats.
La SEAM regroupe également les éditeurs. Nous avons pensé intéressant d’interroger ce lien entre auteur, compositeur, éditeur sans qu’il soit pour autant restrictif. Il existe des tensions perpétuelles, par exemple dans l’opéra, au moment de la répartition des droits entre les 300 ou 400 pages de musique et le texte du livret, ou n’importe quel opus musical nécessitant du texte, deux écritures qui n’occupent pas le même temps linéaire. Un débat serait-il le bienvenu, qui permette d’élaborer une charte des bonnes pratiques, voire de s’entendre sur des fourchettes de répartition, qui éviteraient que naisse une tension là où il n’y en a pas besoin, ou la question est-elle trop sensible pour l’aborder frontalement ?
La deuxième idée de notre projet est d’organiser cette nouvelle journée non à Paris, mais à Mulhouse, ville transfrontalière et proche aussi bien de l’Allemagne que de la Suisse, nous permettant ainsi d’inviter nos collègues d’outre-frontières à participer activement et débattre de cette question, ouvrant alors aussi sur la question de traduction (le cas du Faust de Goethe dans la traduction de Nerval est évidemment en ligne de mire pour ouvrir vers la traduction et l’appropriation d’un texte).
L’invitation des sociétés d’auteurs de ces pays voisins nous permettra – peut-être – de connaître l’état de la relation entre auteurs et compositeurs chez eux et de créer l’embryon d’une réflexion européenne sur le sujet. ECSA [European Composer & Songwriter Alliance] et EWC [European Writers’ Council]serontsollicités pour participer à ces échanges.
L’idée de nous réunir en province est aussi bien évidemment une manière de ne pas oublier que si Paris est la capitale de la France, elle n’en n’est pas pour autant la France et qu’il est revigorant de développer une activité qui ne sera pas centralisée. Nous défendons ainsi l’idée que les membres du Snac puissent également s’investir là où ils résident, faisant abonder leurs propres réseaux vers cette idée fondamentale qu’est la défense du droit d’auteur.
Il est prévu à ce titre de travailler avec la formation LP GEPSAC [Licence Professionnelle en Gestion des Projets et Structures Artistiques et Culturels] de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Haute-Alsace où nous allons impliquer les étudiants de cette formation sur deux promotions dans ce projet, en continuité des invitations que nous avons déjà faite en 2022-2023, ce qui entre dans leurs compétences, et parce que nous souhaitons les initier au mieux à ce qu’est la défense du droit d’auteur. La mission première du Snac est de défendre la notion de droit, moral et patrimonial. Les étudiants doivent s’emparer très vite de cette notion, au moins pour en avoir conscience car dès lors que nous sommes en contact avec des étudiants, nous avons le devoir moral de sensibiliser les décideurs de demain sur ces aspects. Les étudiants qui suivent cette formation ne sont pas des artistes, ce sont de futurs administrateurs, qui ne doivent pas être ignares en la matière.
Depuis de nombreuses années, nous avons pu observer un glissement de la culture vers le spectacle de divertissement. Trop de décideurs politiques sont devenus des incultes notoires. Pour eux la culture est ce qui est vu ou connu (le meilleur étant le label « vu à la TV »), ce qui est mondain. Le temps a montré que la culture est exactement l’inverse. (Je vous invite à relire (ou lire) le visionnaire et extraordinaire ouvrage La crise de la culture d’Hannah Arendt sans omettre l’efficace et implacable S.O.S. Culture de Serge Regourd).
Nous essaierons également de toucher un public plus jeune, notamment au lycée, dans les classes musicales en horaires aménagés et les prépas littéraires, toujours dans l’esprit de sensibilisation nécessaire à ce domaine qui nous est cher.
Enfin, pour finir comme nous avons commencé, le Snac étant pluriel, nous allons proposer aux auteurs de bande dessinée d’entrer dans cette discussion. Nous avons la musique à l’image, nous avons eu quelques tentatives (un peu bancales) de musiques de livres, la BD a un côté script rapide qui s’accorderait bien à la musique.
Tout comme pour la première édition, cette journée se bâtira avec les auteurs. Elle aura pour but d’ouvrir un débat qui n’a pas encore eu lieu et qui est pourtant fondamental. Nous pouvons nous éclairer les uns les autres sur les problématiques que nous rencontrons. À demeurer dans un entre-soi, on s’étouffe. Nous avons besoin de l’avis de chacune des corporations, auteurs, compositeurs, éditeurs de textes ou de musiques.
Photo : Pierre Thilloy. Crédit : Loïc Salfati.
Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 56, en janvier 2024.