Bulletin des Auteurs– Vous présidez l’Académie de la Musique africaine.

Wally Badarou– En 2014, le directeur de la Sacem m’a interrogé sur la possibilité d’une action de la Sacem en Afrique. Compte tenu du passé compliqué de la France avec l’Afrique, je lui ai recommandé que la Sacem agisse en concertation avec les milieux de la musique africaine. Je lui ai proposé de créer une interface entre le monde de la gestion collective française et européenne et les milieux de la musique africaine. L’idée s’est élargie, dans la perspective de regrouper non seulement les auteurs-compositeurs mais toute l’industrie de la musique africaine au sein de l’Académie de la Musique africaine, qui serait l’équivalent de Tous pour la musique pour la France, « Musique » s’entendant au sens de « Musiques plurielles » bien évidemment, et qui comprendrait, au-delà de l’Afrique francophone, l’ensemble du continent africain, ainsi que les diasporas. Les diasporas historiques, c’est-à-dire celles issues de l’esclavage et de la déportation des Africains vers le Nouveau Monde, Amériques du Nord et latine, et les diasporas contemporaines, celles des Africains qui vivent à l’étranger. C’est un très vaste et ambitieux projet, qui a mûri durant une dizaine d’années dans le cadre d’une association loi 1901 créée en France, avec le soutien d’une trentaine de personnalités, telles que Papa Wemba, Youssou n’Dour, Manu Dibango. Il existe déjà sur le sol africain des structures, avec lesquelles il n’est pas question d’entrer en concurrence. Notre rôle est de valoriser et de fédérer ce qui existe et de créer là où rien n’existe. L’Académie se veut une entité de prestige, à laquelle l’existant désirerait appartenir. Elle s’appuie sur les organisations professionnelles nationales déjà opérationnelles, qui réunissent, dans plusieurs des 54 pays qui constituent l’Afrique, musiciens, compositeurs, producteurs, managers, luthiers, etc., et participent de l’industrie musicale africaine. Nous établissons un contact avec chacune.

Notre première action a été de lancer des prix de l’Académie, à destination des candidats nominés par les associations locales et nationales, prix qui fonctionnent par collèges : par exemple les auteurs-compositeurs nominés au niveau national choisissent entre eux des auteurs-compositeurs de chacune des cinq régions qui composent l’Afrique : Afrique du Nord, Afrique de l’Est, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique australe. Auxquelles s’ajoutent deux autres régions : Diaspora Amérique latine et Diaspora Caraïbes. Tous les représentants de chaque région élisent, à un troisième niveau, un représentant par catégorie. Notre premier palmarès a été dévoilé cette année. Le tout se passe en ligne, grâce aux avancées technologiques, qui ont bénéficié de la nécessité de s’adapter à la Covid. De grandes actions sont désormais possibles sans avoir à se déplacer, ce qui représente un gain précieux à l’échelle d’un continent comme l’Afrique.

L’Académie fait appel aux universitaires, historiens, musicologues, pour constituer des bases de données, participer à des colloques, faire vivre cette histoire de la musique africaine, qui n’arrête pas d’influer sur la musique du monde entier. La déportation de la musique africaine vers le Nouveau Monde a donné naissance aux musiques actuelles, comme le gospel, le rap, le jazz, le rock’n roll, la samba, la salsa, le reggae, etc., qui agitent le monde entier. L’ADN rythmique de la musique du monde est africaine. C’est une conversation permanente entre l’Afrique et le monde entier, par le truchement du Nouveau Monde.

B. A. – Comment la Sacem s’incrit-elle dans cette dynamique ?

W. B. – L’Académie travaille main dans la main, au niveau des actions pédagogiques et des financements, avec l’ensemble des institutions, comme l’Europe ou l’Unesco, avec tous les organismes de gestion collective, la Sacem, la « Gema » allemande, La « PRS for Music » au Royaume-Uni, avec les grands écoles américaines comme « Berklee College of Music ». L’Afrique est le cœur de ce projet global. C’est une manière de rendre toute sa fierté au monde de la création africaine, et un enjeu d’immigration puisqu’il s’agit de faire comprendre qu’en Afrique les ressources existent, ainsi qu’uneformidable créativité. L’Afrique peut d’être fière de ce qu’elle accomplit sur place. On n’a pas idée de ce qu’il se passe en Afrique à l’heure actuelle.

B. A. – L’Académie a le projet d’adhérer au Snac.

W. B. – Être membre du Snac permet de bénéficier éventuellement de ses conseils juridiques. Si l’Académie devient membre du Snac, les membres de l’Académie pourront bénéficier de ces conseils. Vu le nombre des artistes africains francophones ayant contrat avec l’un de nos éditeurs en France, une telle opportunité sera précieuse. Ce sera une manière d’attirer des adhérents à l’Académie, et de faire rayonner le nom du Snac. Le principe a été validé par le conseil d’administration de l’Académie. Nous parlons maintenant des modalités avec le conseil syndical du Snac.

 

Photographie de Wally Badarou. Crédit : Geneviève Badarou.

Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 159, en octobre 2024.

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