Fini le regret d’avoir raté l’émission qui aurait changé nos vies. La radio n’est plus éphémère.

Le casque sur les oreilles on navigue dans tout ce qu’on aurait voulu écouter mais qu’on n’avait pas eu l’occasion de saisir. On ne saisit plus, on choisit. On pioche dans une foule de créations offertes à nous. On écoute, on butine. On engrange aussi – attention au syndrome de l’accumulation qui, vertige multipliant à l’envi le temps de l’écoute, nous promettant de belles réserves pour nos moments perdus, pourrait atteindre un seuil dépassant largement le temps de notre vie… On se fait donc un coussin bien rempli et bien moelleux de sons et de voix. On se cale sur un canapé ou dans son lit à moins que ce ne soit sur la plage face à la mer ou au sommet d’une montagne. L’ère des podcasts a radicalement changé le temps radiophonique, créant un éternel présent de l’écoute.

Et on a fait prisonnières des millions d’écritures – d’écritures sonores s’entend.

Qu’est-ce qu’une écriture de podcast ? Qu’a-t-elle de particulier par rapport à l’écriture radiophonique ? Dans les deux cas, il s’agit d’une création sonore élaborée, mais les conditions de leur fabrication diffèrent. Les outils d’écriture, eux, très facilement accessibles aujourd’hui, multipliant les opportunités de création, sont les mêmes : on enregistre, on monte, on mixe. Et derrière ces trois mots un peu lapidaires se cachent mille sollicitations à la captation du monde.

Sait-on qu’un micro-événement du banal peut devenir objet d’attention ; imagine-t-on la subtilité de saisir le grain d’une voix ; comprend-on la délicatesse d’un preneur de son qui silencieusement se glisse dans un environnement pour en traduire le caractère avec ses micros ? Mesure-t-on – écriture sonore par excellence – les pouvoirs du montage, les possibilités « d’entendre » comme on le souhaite, à l’avance, ce que l’on veut offrir par le mixage à l’oreille des autres ?

Production de podcast et production radiophonique connaissent les mêmes vertiges.

D’un documentaire de création on attend qu’il transforme le réel par le son. Le podcast n’est pas toujours l’équivalent d’un documentaire de création. Il s’assigne un rôle d’exploration de la société qui passe par différentes expressions, allant du simple entretien à la fiction, en passant par l’enquête journalistique et le documentaire ; ce faisant, il se réduit trop souvent au rôle de transmettre de l’information, sans pouvoir faire de cette exploration un objet esthétique. Il arrive que certaines productions soient décevantes, et ce ne sont pas forcément les auteurs qui en sont la cause, mais plutôt les conditions dans lesquelles ils doivent travailler : car certains diffuseurs ou producteurs de podcasts ont tendance à reproduire un formatage de contenus et de formes pour rendre attractives leurs productions. Dans sa forme, le podcast se décline souvent en séries (elles existent bien sûr à la radio, séries documentaires ou feuilletons, mais à une moindre échelle de présence dans une grille de programme), ce qui est peut-être une particularité.

Or on attendrait plutôt du podcast qu’il utilise et magnifie l’écriture sonore. Avec le podcast, on rêverait de pouvoir s’immerger en permanence dans des univers sonores qui soient travaillés, comme le sont les plus belles compositions sonores, objets esthétiques qui aient leur expression, leur poésie, leur appel à l’imaginaire. Alors on pourrait dire qu’il n’y a pas de différence avec l’objet radiophonique, et que seul le mode de diffusion de l’objet sonore les démarque l’un de l’autre.

Ce dernier détail – lourd de conséquences – est d’importance.

Ce qui les différencie, c’est la diffusion, le moyen d’écoute : pour le podcast, la mise en ligne est initiale, alors qu’elle ne l’est pas pour la radio. Il y a donc deux sortes de podcasts : ceux qui « rattrapent » le rendez-vous manqué avec une émission de radio, et ceux que l’on appelle les podcasts « natifs », créés pour être diffusés sur le net, étrangers aux ondes hertziennes. Les premiers sont immédiatement réécoutables sur le site de la chaîne de radio, soit en streaming soit en objets téléchargeables. Les seconds peuvent émaner des chaînes de radio, mais aussi d’associations, collectifs, structures produisant les différents podcasts qui sont ensuite diffusés sur les plates-formes d’écoute. Le podcast natif, qu’il soit produit par une radio ou par un producteur indépendant, est immédiatement mis en ligne et ne passe pas par la diffusion hertzienne.

Ce mode de diffusion est lui-même le signe et l’origine d’un autre problème : car la question essentielle aujourd’hui porte sur l’économie de ce genre sonore si plébiscité, mis en avant, considéré comme le summum de l’avant-garde et comme prometteur de talents. Mais de quoi vivent – ou peuvent prétendre vivre – les auteurs de podcasts ?

Il faut s’arrêter sur la rémunération des podcasts, et là encore la différence se fait sentir. Pour qu’une émission de radio naisse, il lui faut un financement premier : or ce financement existe dans la mesure où un projet accepté par une chaîne de radio (essentiellement de la radio publique) est immédiatement pris en charge pour sa fabrication par celle-ci qui fournit les moyens techniques, et qu’il génère pour l’auteur un cachet correspondant à sa prestation artistique et technique. Cela est aussi le cas à Radio France pour un podcast natif.

Mais comment les podcasts nés dans d’autres studios de production permettent-ils aux auteurs de trouver un soutien à la création ? Dans la plupart des cas rien ne leur permet de pouvoir vivre – un peu – pendant le temps de la création sur l’équivalent d’un à-valoir en littérature.

Il faut se tourner aujourd’hui vers les bourses ou les aides, avoir la chance de voir son dossier sélectionné, tant sont nombreuses les demandes – ce qui montre l’ampleur de l’attrait et de la passion pour le son. La Scam est très attentive à la création des podcasts et très désireuse de la soutenir – témoin son association au « Paris podcast festival » et le questionnement qu’elle y a mené le 11 octobre dernier, sur le statut de l’œuvre sonore, les aides pour la création et pour la production, la régulation pour les plates-formes. Elle ouvre sa bourse « Brouillon d’un rêve », dont les fonds proviennent de la copie privée, à toutes formes de création sonore. Elle est aussi à l’origine du fonds d’aide du ministère de la Culture qui, pour susciter des projets de podcasts, a fait sur trois ans depuis 2021 un appel à projets expérimental destiné aux autrices et auteurs de podcasts et de créations radiophoniques. Il a disposé chaque année d’un budget de 500 000 euros, avec un montant maximum de 5 000 € par projet, conçu comme une aide à l’écriture pour accompagner les auteurs. En 2023, sur 604 dossiers déposés, 107 projets ont été sélectionnés et une large majorité d’entre eux (79 %) traite d’un sujet de société.

Jusqu’ici tout pourrait aller (presque) bien. Mais les autrices et les auteurs doivent vivre de leurs droits d’auteur, et l’indigence de ceux-ci pour les créateurs de podcasts est flagrante.

Le système économique permet de rémunérer les auteurs de radio : la Scam collectant auprès des diffuseurs une somme qu’elle répartit entre eux donne des conditions décentes à l’exploitation des œuvres sur les chaînes.

Le système du paiement des droits d’auteur pour les podcasts est différent s’il s’agit de podcasts de rattrapage ou de podcasts natifs. Toute émission de radio devenant un podcast juste après sa diffusion, le calcul de sa rémunération bénéficie du minutage avéré parallèlement sur les déclarations de droits par le diffuseur et l’auteur. Ce minutage est pris en compte, mais on peut mesurer l’abîme qui sépare les tarifs des droits. Si je prends exemple sur mes propres relevés de droits, je vois que la minute, dans un moment de diffusion comparable, pour une œuvre appartenant à la même catégorie, passe de 18,20 € pour la diffusion hertzienne à 0,75 € pour le podcast.

Pour les podcasts natifs la peine est pire – qu’ils émanent d’une chaîne de radio ou d’un producteur indépendant. Car tout dépend d’abord de la somme, pourcentage de son chiffre d’affaires, que verse un studio de diffusion à la Scam, un studio de production vertueux pourrait-on ajouter… Or nombre d’exploitants ne paient pas de pourcentage à la Scam. Arte Radio, qui fonctionne comme une plate-forme d’écoute à la demande, ne versait aucun pourcentage à la Scam jusqu’à une date relativement récente, et ses auteurs ne percevaient aucun droit. La situation a évolué en bien aujourd’hui, mais le calcul des droits pour tous les podcasts natifs reste très drastique. Le minutage n’existe pas pour ces œuvres, leur durée n’est pas prise en compte, et il n’existe pas de catégories comme pour la diffusion hertzienne.

Le mode de calcul pour la Scam s’élabore à deux niveaux : la présence des œuvres dans le catalogue de l’exploitant, et l’audience des œuvres. La présence des œuvres se fonde sur trois critères – de l’indice 1 à l’indice 0,6 – les séries étant de fait pénalisées car plus il y a d’épisodes, et moins l’indice de rémunération est élevé (pourquoi ?). Le diffuseur doit de son côté fournir à la Scam la liste des œuvres de son catalogue. Pour l’audience, le tarif de rémunération est activé dès la première écoute.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) travaille avec le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) sur les conditions d’existence et de rémunération des podcasts. Le Snac a été auditionné : le vrai problème pour l’existence des podcasts – et des auteurs de podcast – est un problème économique. Aujourd’hui il n’y a pas d’économie du podcast.

Je suis la première à aimer découvrir des sons, des compositions sonores, des mots, des éclats de voix et des éclats du monde. Mais je suis aussi la première à dire qu’il y a aujourd’hui un véritable vice de forme dans la promotion sans borne et sans garde-fou de ce mode d’expression qui ignore encore trop ses auteurs et ses moyens de subsistance. Une sorte de leurre aussi, qui dédouanerait la radio publique de laisser tomber en déshérence sa mission première d’encourager et de favoriser la création. Étant donné l’essor de cette forme sonore et l’engouement généralisé pour l’écoute des créations en ligne, il est grand temps que se constituent des modèles économiques adaptés aux auteurs.

 

Simone Douek est également l’autrice de « L’Acte radiophonique– une esthétique du documentaire », publié aux éditions Créaphis.

Photographie de Simone Douek. Crédit : Dominique Mangin.

Cette « Tribune libre » a été publiée dans le « Bulletin des Auteurs » n° 159, en octobre 2024.

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