Les orchestres symphoniques à travers le monde sont confrontés à un défi de taille : renouveler leur public. Historiquement, ces ensembles ont attiré une audience principalement composée de mélomanes aguerris, souvent perçus comme appartenant à des catégories d’âge plus élevées et à des milieux socio-économiques spécifiques. Cependant, avec des tendances culturelles en constante évolution et un intérêt décroissant des jeunes générations pour les formes traditionnelles de la musique classique, les orchestres cherchent de nouvelles manières de rester pertinents et attrayants. Face à cette réalité, ils sont de plus en plus nombreux à explorer des collaborations innovantes et des formats de concerts qui intègrent des éléments de la pop culture, dans l’espoir d’élargir leur base de spectateurs et d’engager un public plus jeune et diversifié.
Reconquête de la génération Y
L’introduction des ciné-concerts et des concerts de musiques de jeux vidéo a marqué un tournant décisif pour les orchestres symphoniques cherchant à attirer un public plus jeune et plus diversifié. Ces événements ont utilisé des thèmes populaires issus de films et de jeux vidéo bien aimés pour capturer l’attention de la génération Y, ces jeunes adultes ayant grandi avec une riche culture de médias numériques. Des franchises comme « Harry Potter » ou des sagas de jeux comme « Final Fantasy » ont été adaptées pour des performances orchestrales, créant une expérience immersive qui a non seulement renforcé l’appréciation de la musique symphonique mais a aussi servi de pont entre des mondes artistiques souvent perçus comme distincts.
Transition vers les générations Z et Alpha
En s’appuyant sur ce succès, l’industrie a vu émerger de nouvelles formes d’intégration musicale qui étendent encore plus les horizons de l’orchestre classique. Radio France, à travers ses émissions sur Mouv’, a régulièrement organisé des concerts de hip hop symphonique depuis près de huit ans, mettant en vedette des artistes de hip hop accompagnés par l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Ces concerts, sous la direction artistique d’Issam Krimi, un compositeur et producteur ayant une solide formation classique et une grande affinité pour le hip hop, ont connu un succès notable, attirant des milliers de spectateurs et des millions de vues en ligne. Les artistes tels que MC Solaar, Ninho, et Soprano, ont été impliqués, créant des ponts entre genres musicaux traditionnellement séparés et introduisant le format symphonique à une audience qui pourrait ne pas fréquenter les salles de concert classiques. Pour ces événements, les arrangements pour orchestre ont été écrits par la brillante compositrice Camille Pépin.
Le Cas de Luidji à Nice
Le 27 mars 2024, un événement a marqué l’opéra de Nice : Luidji, artiste hip hop, a joué avec l’orchestre philharmonique de Nice et le chœur de l’opéra. Les 1050 billets disponibles se sont envolés en seulement neuf minutes, preuve de l’attrait nouveau pour ce genre. Face à une demande explosive, une seconde représentation a été rapidement organisée le même soir, réitérant le succès complet.
Luidji, sur son compte Instagram, a exprimé sa gratitude et son émotion : « Mercredi dernier, j’ai réalisé l’un de mes rêves de gosse : jouer ma musique à l’opéra. » Il remercie notamment Ryan Koffi, son beat maker, pour son dévouement à la réussite de ce projet, ainsi que Sylvain Morizet pour les arrangements orchestraux, la cheffe d’orchestre Jane Latron, les 80 musiciens, et les 37 choristes pour leur travail impressionnant.
Cette collaboration unique a non seulement ravi Luidji,
« Ce soir-là, j’ai eu la sensation d’entendre ma musique telle qu’elle devrait vraiment sonner, et je compte m’inspirer de cette expérience en vue de la tournée des zéniths et de Bercy qui approche. Entre vous et moi, j’aimerais avoir l’opportunité un jour de renouveler l’expérience dans plusieurs opéras. À suivre ! »,
mais a également captivé un public très jeune, majoritairement féminin, qui découvrait pour beaucoup l’orchestre pour la première fois. Ces concerts ont illustré comment le hip hop symphonique peut servir de passerelle entre la jeunesse et la musique classique, renouvelant ainsi l’audience traditionnelle des salles de concert.
Perspectives futures
Le succès de ces initiatives suggère un avenir où la musique classique pourrait continuer à se renouveler et à s’étendre, attirant régulièrement un public plus large et plus jeune. Les ateliers de découverte, comme ceux mis en place par Sylvain Morizet, pourraient utiliser le hip hop symphonique pour initier les jeunes à l’orchestre, et montrer qu’il est possible de bâtir sur cet enthousiasme initial pour développer une appréciation plus profonde et peut-être durable de la musique symphonique.
En conclusion, le hip hop symphonique ne se contente pas de remplir les salles ; il ouvre de nouvelles voies pour l’éducation musicale et culturelle, prouvant que l’innovation peut enrichir les traditions et rendre l’art classique pertinent pour les nouvelles générations.
Sylvain Morizet
Sylvain Morizet est compositeur, arrangeur et pianiste. Il a participé à l’orchestration de plus de 120 films, travaillant notamment avec Alexandre Desplat. Depuis 2013, il a été arrangeur et directeur musical pour Vangelis. Il a aussi collaboré avec Yvan Cassar sur des projets pour Johnny Hallyday, Florent Pagny et Roberto Alagna. Titulaire d’une formation scientifique de haut niveau, Sylvain donne également des conférences sur l’impact de l’intelligence artificielle dans l’industrie musicale.
Photographie de « Luidji à Nice ». Crédit : Dominique Jaussein – Ballet Nice Méditerranée.
Cette « Tribune libre » a été publiée dans le « Bulletin des Auteurs » n° 159, en octobre 2024.