Emmanuel de Rengervé a cessé son activité comme délégué général du Snac. Maïa Bensimon lui a succédé.

Bulletin des Auteurs– Au cours de votre longue présence comme délégué général du Snac, comment la défense du droit d’auteur a-t-elle évolué ?

Emmanuel de Rengervé– J’ai été engagé par le Snac parce que je suis juriste de formation avec une spécialisation en droit d’auteur. J’ai eu de l’angoisse, du stress et des satisfactions à faire ce travail qui consiste à épouser la cause des auteurs et, pour cela, à aller les rencontrer et les écouter. Les causes à porter pour défendre les auteurs que le Snac assiste concernent des hommes et des femmes de métiers, de parcours, d’expériences et d’humanité très divers. L’intérêt de la fonction que j’ai occupée au Snac est d’avoir une vision transversale de ce qu’il se passe pour les auteurs de différents secteurs (de la musique, du livre, de l’audiovisuel, du spectacle vivant), dans des mesures différentes, au fil du temps, selon les sujets et les dossiers, avec un renouvellement des questions, des problèmes, et des moyens à mettre en œuvre pour essayer de les traiter, sur le plan national, européen, voire international.

Parce qu’il est toujours régulièrement attaqué, directement ou indirectement, il faut défendre le droit d’auteur (la possibilité juridique pour les auteurs d’espérer vivre de leur métier et des fruits de l’exploitation de leurs œuvres). Il faut se souvenir de quelques-uns des débats enflammés qui se sont déroulés sur des sujets internationaux comme par exemple d’abord sur l’exception culturelle (dans les années 1990) ou après, celui sur la diversité culturelle (dans les années 2000). Les questions concernant la libre circulation dans l’Union Européenne, des biens, des marchandises, des services, ont aussi fait l’objet de travaux longs et difficiles. Dans l’esprit de certains et de plus en plus dans les trente dernières années, le droit d’auteur est considéré comme une entrave à la liberté de commerce et au développement de l’économie de certaines entreprises au sein de l’Union Européenne. Pour quelques économistes écoutés dans l’Union Européenne, les biens culturels, auxquels appartiennent les œuvres de l’esprit, sont des biens ou des produits comme n’importe lesquels. Vu sous cet angle, les auteurs et leurs sociétés de gestion collective sont des entraves à la libre expression des « lois du marché ». Le Snac intervient sur les divers sujets sociétaux qui peuvent avoir pour effet de changer la relation des auteurs avec les diffuseurs ou les exploitants de leurs œuvres mais aussi avec le public. Le public est de plus en plus envisagé comme un simple consommateur, le droit de la consommation venant parfois se mettre en opposition avec le droit d’auteur.

Si je jette un œil sur mes trente-six années (et des poussières) de présence au Snac, le constat est que nous avons tenu notre rôle pour participer activement à la défense du droit d’auteur et des intérêts des auteurs (y compris pour leur régime de sécurité sociale, de retraite et leur fiscalité), mais que pour autant rien n’est jamais réglé de façon définitive… Bien des choses ont changé pour les auteurs, quels que soient les secteurs, et bien des choses aussi en ce qui concerne l’exploitation des œuvres. Il y a infiniment plus de possibilités d’exploitation des œuvres aujourd’hui dans certains secteurs. La fabrication aussi a changé. Par exemple, dans le domaine du livre, le support par lequel l’auteur remet son œuvre à l’éditeur, la façon dont un éditeur va pouvoir fabriquer le livre, en termes de maquette comme d’impression, ont totalement changé au fil du temps. Cependant un livre reste un livre. Et, pour le moment, le support papier est le même qu’il y a quarante ans. Pour autant, le livre numérique est bien là, même si pour le moment il ne représente qu’un faible chiffre d’affaires. Dans le domaine musical, du vinyle ou de la cassette, on est passé, à la fin des années 1980, au CD. Mais il restait une économie reposant toujours sur la consommation de support physique. Puis le Peer to Peer (pair-à-pair, le téléchargement illégal de musique) est apparu dans les années 2000, c’est-à-dire le piratage de masse. La mutation de la musique vers le modèle d’exploitation dématérialisée, streaming ou autre, étant une mutation nécessaire, elle a entraîné des évolutions très importantes concernant les flux économiques pour les auteurs et compositeurs. Pour la production de musique à l’image, l’environnement n’a majoritairement plus rien à voir avec ce qu’elle était dans le passé, surtout si le compositeur se charge de fournir les enregistrements nécessaires à son propre outil de travail.

Les évolutions très importantes dans les conditions d’exploitation des œuvres par divers opérateurs a provoqué l’arrivée dans certains secteurs de l’industrie culturelle de personnes qui ne connaissaient rien à la relation des auteurs avec les diffuseurs de leurs œuvres, et qui ont voulu, parce qu’elles venaient d’autres horizons, instaurer d’autres règles. Ces nouvelles règles furent parfois meilleures mais le plus souvent elles ont constitué des attaques contre les droits ou les intérêts des auteurs.

La propriété littéraire et artistique c’est la reconnaissance par la loi de la propriété des auteurs. Mais les droits d’auteur, ce sont aussi les droits qui vont être cédés ou transférés par l’auteur à des cessionnaires de droits ou à des organismes de gestion collective de droits. La gestion collective est le seul moyen pour l’auteur d’espérer renforcer son pouvoir dans la négociation avec les opérateurs pour essayer d’obtenir ce qu’individuellement il ne parviendrait pas à négocier.

La loi sur le droit d’auteur avait pour fondement juridique et pour objectif principal de protéger la partie faible contre la partie forte dans la relation Auteurs/ Diffuseurs d’œuvres. L’équilibre de cette relation a été considérablement changé avec les gigantesques concentrations industrielles aux mains d’un nombre limité d’entreprises. C’est vrai dans tous les domaines : l’audiovisuel, le livre, la musique, le spectacle vivant… La situation oppose désormais un être de plus en plus faible, l’auteur, à une entité de plus en plus forte, qui peut imposer sa loi au soi-disant libre marché. Même s’il y a plusieurs opérateurs dans les différents secteurs, au bout du compte, ces groupes ou ces différents groupes adoptent toujours les mêmes pratiques et proposent les mêmes contrats aux auteurs. Ces contrats vont toujours dans le sens de plus de droits cédés par les auteurs aux diffuseurs. La loi sur le droit d’auteur de 1957, modifiée de façon importante en 1985 et de façon plus limitée à de nombreuses reprises depuis, aurait dû permettre de trouver des points d’équilibre ou de nouveaux points d’équilibre entre les droits et les devoirs des auteurs (le législateur ne devrait pourtant jamais oublier la partie faible à protéger !) et des diffuseurs de leurs œuvres. Objectivement cette loi n’a pas suivi l’évolution du rapport de force nouveau qui s’est instauré dans les dernières décades et ce malgré toutes les alertes que le Snac ou d’autres organisations d’auteurs ont pu lancer. Le Code de la propriété intellectuelle est devenu en partie obsolète au regard de certaines règles parce que la relation n’étant plus la même dans la réalité des faits, le cadre juridique est devenu insuffisant. Dans le domaine du livre par exemple, il y a quelques décades, les contrats d’édition faisaient cinq ou six pages, ils en font désormais une vingtaine. La seule raison de cette inflation, c’est qu’il y a de plus en plus de droits cédés par l’auteur aux éditeurs sans un vrai partage de valeur et que les conditions de travail et d’encadrement de la création sont de plus en plus contraintes.

La grande majorité des auteurs n’a pas les moyens juridiques de résister à ces demandes nouvelles dans le cadre des contrats qui leur sont proposés. Des négociations collectives auteurs/ éditeurs dans lesquelles le Snac a joué un rôle actif n’ont pas été assez loin, en particulier sur l’étendue des droits cédés, la durée de cession et le partage de valeurs.

Une loi sur la propriété littéraire et artistique devrait permettre aux auteurs de vivre de leur métier. C’est le mantra qui guide le Snac dans son action et ses activités.

Depuis une vingtaine d’années, certains pensent (et disent) que le droit d’auteur c’est le vol. Ils sont parfois des héritiers lointains de ceux qui estimaient que la propriété est le vol. Bizarrement ils ont fait une alliance objective avec les adeptes de la mondialisation et de la globalisation de l’économie. Pour eux, le droit d’auteur est une entrave soit à la liberté d’entreprendre, soit au libre accès à la connaissance et à la Culture pour le plus grand nombre. Avec les nouvelles technologies, le public a de plus en plus de possibilités d’avoir accès à des œuvres protégées, voire d’être des acteurs sur celles-ci pour les partager avec d’autres ou les modifier à leur gré. Une des grandes difficultés du droit d’auteur est de devoir s’adapter aux évolutions sociétales et techniques. Il faut continuer à faire entendre et comprendre que le droit d’auteur n’est pas le vol, que les auteurs ne sont pas des rentiers (ou des cigales), que les œuvres ne peuvent pas être malmenées. Une organisation professionnelle comme le Snac doit réfléchir collectivement à l’arrivée de chaque nouvelle technologie, à chaque nouvelle possibilité d’exploitation et aux conséquences pour les auteurs et le droit d’auteur.

Au fil du temps, le Snac a participé à de nombreuses actions et combats. Il est impossible de tous les citer ou de n’en citer que quelques-uns, oubliant ainsi les autres comme s’ils étaient moins importants ou moins essentiels. Le combat mené pour une catégorie d’auteurs ou sur un sujet particulier est toujours essentiel.

 

B. A. – Y a-t-il eu des actions spécifiques au Snac ?

E. de R.– La défense collective des auteurs ne peut pas passer par l’initiative d’une seule organisation. Le Snac a participé à beaucoup d’actions, y compris sectorielles comme dans le livre avec les négociations sur le contrat d’édition dans l’ère du numérique, comme dans la musique avec le Code des usages et des bonnes pratiques dans le secteur de l’édition musicale, comme dans le doublage/ sous-titrage avec la rédaction d’un Code des bons usages, comme dans la scénographie avec la rédaction d’une charte… Le Snac a souvent été à l’initiative des actions. Avec ses moyens limités, le Snac a été et est disponible et présent pour défendre les intérêts des auteurs et les principes du droit d’auteur.

Il faut avouer que l’intérêt collectif est parfois ingrat quand il s’agit de reconnaître le rôle de chacun… Les effets de la défense des intérêts individuels sont beaucoup plus faciles à estimer. Au fil du temps, j’ai accompagné des centaines d’auteurs ou d’autrices, via des consultations juridiques, dans des règlements à l’amiable, voire dans le cadre de contentieux. J’ai pu lancer grâce au Snac des procédures collectives au nom des auteurs, au moment où les coupures publicitaires dans les films sont apparues sur les chaînes privées et publiques. Nous avons gagné sur le fait qu’on ne pouvait insérer une telle coupure sans l’accord des auteurs. Dans le doublage/ sous-titrage nous avons gagné sur le fait que les auteurs ne voyaient jamais leur nom mentionné au générique. Après avoir assigné Canal+, TF1, France Télévisions, M6, le contentieux a permis que des protocoles d’accord soient signés et que, maintenant, le nom des auteurs de doublage et de sous-titrage soit mentionné aux génériques des films. Dans la mesure de nos moyens financiers, nous avons été présents dans de nombreuses procédures aux côtés des auteurs dans le domaine du livre, pour des résiliations de contrats ou des atteintes au droit moral. Nous avons aussi mené divers contentieux dans les secteurs de l’audiovisuel, du doublage, du sous-titrage, de la musique à l’image, de la musique actuelle, de la scénographie et du livre pour récupérer les droits, pour résilier des contrats, pour faire reconnaître les atteintes au droit moral des auteurs. De façon générale, le Snac a toujours mené les combats judiciaires nécessaires, c’est-à-dire quand les contentieux peuvent avoir une vertu d’exemplarité permettant à des auteurs d’obtenir les mêmes choses sans avoir à entamer une procédure longue, coûteuse et compliquée.

Travailler avec des auteurs et des compositeurs, quels que soient leurs métiers, c’est à cela que sert un juriste spécialisé en droit d’auteur. Dans tous les cas, c’est à cela que je voulais contribuer à mon modeste niveau. Au fil du temps, le Snac a eu plus d’adhérents, puis moins, dans certains secteurs… mais aussi des adhérents nouveaux dans des secteurs que nous avons représentés. Au fil du temps, le Snac a été à l’origine de la reconnaissance de certains métiers d’auteurs ou à la possibilité d’une meilleure visibilité de certains de ces métiers. Par exemple, les chorégraphes ou encore les auteurs de doublage/ sous-titrage, les audiodescripteurs ou les scénographes…

Le Snac (et moi encore plus à titre personnel) s’est réjoui de voir les auteurs de bande dessinée le rejoindre, en 2007, pour créer un groupement et ainsi avoir une voix qui porte efficacement dans les institutions.

 

B. A. – Quelles sont les thématiques ou les dossiers « chauds » pour la défense du droit d’auteur ?

E. de R.– Je ne vais pas « commencer une carrière de devin » mais il me semble bien que je ne prends pas de risques en répondant qu’une partie du présent et du futur proche du droit d’auteur passera comme toujours par son adaptation à des environnements nouveaux comme : l’Intelligence Artificielle Générative de contenus, la transition écologique (y compris avec le développement durable) appliquée au secteur de la Culture et de la création d’œuvres de l’esprit, la capitalisation des droits de propriété intellectuelle, etc., sans oublier l’environnement politique avec l’arrivée d’une nouvelle ministre de la culture et sa nouvelle équipe.

Le présent ou le futur proche du Snac passera surtout par sa capacité à répondre aux demandes de ses adhérents et des auteurs plus largement. Aucun doute que sa nouvelle déléguée générale, Maïa Bensimon, mènera à bien ces divers combats avec l’aide des membres du Snac et de ses élus.

 

Photo : Emmanuel de Rengervé. Crédit : Snac.

Cet entretien a été publié dans le numéro 156 du « Bulletin des Auteurs » du Snac, en janvier 2024.

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