Bulletin des Auteurs– Pouvez-vous faire un premier bilan de la concertation Auteurs/ Éditeurs en cours au ministère de la Culture ?

Emmanuel de Rengervé et Maïa Bensimon– À la suite de la mission Sirinelli, qui n’avait pas abouti à propos de la question de la rémunération des auteurs, dont les éditeurs n’entendaient pas discuter, le ministère de la Culture – Service du Livre et de la Lecture de la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) – a établi un programme sur l’ensemble de l’année 2023.

La concertation a été organisée autour de différentes thématiques et de la façon suivante :

  • Les parties devaient fournir de la documentation au ministère, pour que ce dernier puisse prendre la mesure de ce qui est demandé au regard de chacune des thématiques.
  • Les services du ministère discutaient ensuite en bilatéral, d’un côté avec le collège Auteurs (composé de représentants du Conseil permanent des écrivains (CPE) dont le Snac, des représentants de la LAP et depuis peu à nouveau de la Charte), de l’autre avec le collège Éditeurs (le SNE).
  • Puis une réunion plénière avait lieu, au cours de laquelle la discussion s’engageait sur la base d’un document de synthèse établi par le ministère sur la position des uns et des autres et sur les propositions que le ministère pourrait faire au sujet de la thématique.

Le CPE et ses représentants [ATLF, Scam, Snac et SGDL] sont la force essentielle du collège Auteurs dans les discussions qui ont lieu.

Un premier bilan a été dressé le 11 juillet concernant les quatre premières thématiques abordées durant le premier semestre 2023, et un second bilan a été dressé le 21 décembre dernier concernant les trois secondes thématiques abordées.

 

1/ Thématique concernant la vente des livres soldés.

Le ministère a rappelé la définition juridique du terme « Solde » et que la vente en solde du stock ne peut avoir lieu si le livre est encore exploité, avec un prix différent.

Selon les auteurs, si un éditeur solde, c’est qu’il arrête l’exploitation, il doit résilier le contrat d’édition dans sa totalité, et le contrat d’adaptation audiovisuelle aussi. Se pose aussi la question de la rémunération de l’auteur en cas de vente soldée de tout ou partie du stock par l’éditeur à un soldeur. Dans la plupart des contrats aujourd’hui, l’auteur ne touche rien si le stock est vendu avec une remise qui peut être fixée au contrat entre 60 % à 80 % du prix public. Les représentants des auteurs souhaitent que l’auteur perçoive une part significative de revenus si le stock de ses livres est vendu à un soldeur. Les auteurs souhaitent que le stock soit proposé en priorité à l’auteur, et qu’il s’agisse d’une obligation pour l’éditeur.

À ce stade, le collège Auteurs et le collège Éditeurs ont des positions différentes, tant sur l’étendue de la résiliation que sur la rémunération de l’auteur en cas de solde du stock.

 

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 1 :

Les services du ministère (DGMIC – SG) proposent une réflexion autour d’une règle nouvelle :

  • l’obligation d’une rémunération proportionnelle de l’auteur en cas de vente de tout ou partie du stock par l’éditeur à un soldeur, sachant que l’assiette de cette rémunération doit être le produit brut de cette vente pour l’éditeur. La détermination du taux de cette rémunération relèverait quant à elle de la liberté contractuelle des parties au contrat d’édition ;
  • une obligation de transparence vis-à-vis de l’auteur, non seulement sur ce produit brut, mais encore sur le nombre d’exemplaires concernés ;
  • la mise en solde du livre rendrait automatique la fin de la partie du contrat d’édition relative à l’exploitation du livre sous forme imprimée à l’issue de l’opération de solde par l’éditeur.

 

2/ Thématique portant sur l’assiette de la rémunération en cas de cession de droits par l’éditeur à un tiers, dans le cadre par exemple d’une traduction ou d’une reprise en livre de poche. Il s’agit pour les représentants des auteurs d’éviter que l’éditeur puisse diminuer l’assiette par des frais divers, tels les honoraires d’agent. Sur ce point, sous réserve de certains ajustements et de clarifications, il semble possible de parvenir à un accord avec les éditeurs.

 

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 2 :

À l’issue de la réunion plénière, et en s’appuyant sur les points de consensus qui semblent se dégager des discussions entre les deux collèges, les services du ministère de la Culture proposent une nouvelle règle (  une modification du code des usages en matière de littérature générale ou, sous réserve d’une modification de l’article L. 132-17-8 du CPI, de l’accord mentionné au même article) :

  • Qui préciserait que l’assiette de la rémunération due à l’auteur en cas de cession de droits par l’éditeur à un tiers est constituée des sommes hors taxe, comptabilisées et encaissées par l’éditeur.
  • Qui préciserait que l’éditeur ne peut déduire de cette assiette des frais générés par la négociation.

 

3/ Thématique concernant les ventes de livres à l’étranger.

Sur la base du modèle de contrat d’édition établi par le SNE, la plupart des contrats stipulent que le taux de base des droits d’auteur s’applique dans un périmètre restreint, soit la France, soit la France/ Belgique/ Suisse, soit les pays francophones… A contrario de ce périmètre, il s’agit des « Ventes de livres à l’étranger ». Le pourcentage de la rémunération des auteurs peut alors, selon les contrats, être diminué de moitié. Nous constatons être assez éloignés d’un accord avec les éditeurs.

La loi ne précise rien sur le taux de la rémunération. Nous demandons que les taux de droits d’auteur soient les mêmes dans tous les cas de figure, sans considération de pays ou de circuits de ventes. Les éditeurs soutiennent pour leur part qu’il est légitime que la rémunération des auteurs baisse si les frais de transports d’un livre sont plus élevés que pour une vente dans le premier périmètre.

 

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 3 :

Les services du ministère de la Culture ont rappelé qu’en vertu d’une jurisprudence constance l’assiette de la rémunération de l’auteur doit être dans tous les cas le prix public hors taxes (PPHT France), quel que soit le lieu de vente du livre (France ou étranger).

  • Les services du ministère de la Culture considèrent que l’adoption d’un taux de rémunération indifférencié selon le lieu de vente constitue une bonne pratique qui doit être encouragée. Ils ne proposent néanmoins pas d’en faire une règle obligatoire pour diverses raisons plus ou moins discutables selon le collège auteurs : crainte qu’une telle obligation ne modifie les comportements dans un sens néfaste (taux unique plus bas), risque de baisse du niveau des exportations de livres, report des surcoûts liés à la diffusion-distribution vers les librairies francophones à l’étranger…

 

Les représentants des auteurs ont manifesté leur déception, voire leur incompréhension quant à la position du ministère.

 

4/ Thématique sur la progressivité des taux de rémunération.

Tous les contrats ne comportent pas de clause de progressivité. Parfois cette clause est présente dans le contrat d’édition, mais seulement pour les ventes de l’édition courante en librairie, pas sur la reprise en livre de poche ou sur les ventes du format numérique. Le collège Auteurs, qui souhaite surtout au préalable fixer des taux minimums et des paliers encadrés (volume limité entre chaque palier pour éviter les situations de stagnation), a demandé, à défaut, l’instauration d’une règle obligatoire, qui rappelle que la progressivité est une nécessité pour veiller à une juste et proportionnelle rémunération permettant un partage équitable de la valeur entre les auteurs et les éditeurs. Ce n’est pas le point de vue du SNE, qui souhaite que la progressivité ne soit, ni générale c’est-à-dire pour tous les secteurs de l’édition, ni obligatoire.

 

Extraits et/ ou synthèses de la proposition du ministère sur la thématique 4 :

Les services du ministère de la Culture constatent qu’un certain nombre de points mis en avant lors de cette réunion plénière méritent une poursuite des échanges entre les organisations professionnelles.

Ils invitent le collège des auteurs et le SNE à poursuivre leurs discussions interprofessionnelles afin de déterminer d’une part le périmètre d’une règle nouvelle relative à la progressivité de la rémunération et de définir d’autre part les bonnes pratiques en matière de décompte des exemplaires vendus intervenant pour le déclenchement des paliers de rémunération proportionnelle.

Ils encouragent également les professionnels à réfléchir au champ d’intervention de la future Commission de conciliation qui pourrait être amenée à jouer un rôle important afin de traiter des saisines liées à l’existence de taux de rémunération qui seraient regardés comme trop bas ou à l’existence de niveaux de paliers considérés comme trop élevés.

Les services du ministère de la Culture vont enfin poursuivre leur réflexion sur la manière de répondre à la demande des auteurs visant à préciser dans la règle que la fixation des taux et des paliers de rémunération doit être fondée sur une estimation « juste et équitable ».

 

5 et 6 / Thématique sur l’encadrement des pratiques de l’à-valoir (thème 5) et la sécurisation de l’à-valoir :

Toutes les organisations d’auteurs revendiquent, selon des modalités diverses, une rémunération de l’auteur qui soit distincte du fruit de l’exploitation des droits cédés à l’éditeur. Avant tout chose, le Snac, avec les organisations du CPE présentes, ont rappelé que leur participation aux discussions sur l’amortissement de l’à-valoir ne vaut pas renoncement à cette revendication de rémunération décorrélée des fruits de l’exploitation, non remboursable et non amortissable, que le CPE désigne par les termes de « minimum garanti non remboursable et non amortissable » depuis les États Généraux du Livre en 2018.

Au-delà de ce minimum garanti non amortissable et non remboursable, le CPE s’est exprimé sur la nécessité de pouvoir disposer d’une définition claire de la notion d’à-valoir (ainsi que de la notion de « minimum de droits d’auteur garantis par l’éditeur » mentionnée à l’article L. 132-10 du code de la propriété intellectuelle, abordée quant à elle de manière plus approfondie lors des discussions sur le thème 6). En effet cette notion d’à-valoir est source de confusion pour beaucoup d’auteurs et il serait certainement préférable de clarifier d’abord la notion de minimum garanti figurant à l’article L. 132-10 du CPI pour s’accorder ensuite sur le périmètre des droits d’exploitation susceptibles de venir en amortissement de cet à-valoir.

Les représentants des auteurs ont appelé entre autres à une clarification du droit afin d’exclure les pratiques consistant à compenser l’à-valoir avec l’ensemble des droits cédés par l’auteur dans le cadre du contrat d’édition et du contrat d’adaptation audiovisuelle.

Concernant le versement de l’à-valoir et son caractère « garanti », le CPE a souligné l’importance de sécuriser, par des pratiques contractuelles vertueuses, le fait que l’auteur puisse conserver cet à-valoir, sans avoir à le rembourser dès lors que le projet est abandonné du seul fait de l’éditeur, même dans l’hypothèse où l’auteur s’autoédite ou trouve un nouvel éditeur pour une nouvelle édition.

Par ailleurs, le CPE s’est interrogé sur le rapport existant entre le tirage et le minimum de droits garantis. Le CPE estime que le rapport entre le tirage et le minimum garanti doit permettre d’évaluer l’engagement de l’éditeur à l’égard de l’œuvre ou de l’auteur et rappelle qu’historiquement le niveau d’investissement de l’éditeur correspondait soit à de l’argent soit à un nombre d’exemplaires.

 

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 5 :

Les services du ministère de la Culture (DGMIC – SG) ont proposé en particulier de mettre en discussion une règle nouvelle qui affirmerait le principe selon lequel les droits d’adaptation audiovisuelle, pour lesquels il est rappelé que la cession doit, en application du code de la propriété intellectuelle, intervenir dans le cadre d’un contrat séparé du contrat d’édition, ne peuvent en aucune manière venir en amortissement de l’à-valoir prévu au contrat d’édition.

Par ailleurs, le ministère comme les éditeurs ont convenu qu’il conviendrait de proscrire les dispositions contractuelles prévoyant des systèmes de vases communicants entre co-auteurs, conditionnant le versement des droits aux co- auteurs. Il s’agit de dettes et de créances n’ayant pas le même titulaire. L’amortissement ne peut pas être envisagé au titre de l’ensemble des à-valoir d’un livre mais uniquement au regard d’un à-valoir précis versé à un auteur déterminé.

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 6 :

Les services du ministère de la culture (DGMIC – SG) ont proposé de mettre en discussion une règle nouvelle selon laquelle, par dérogation aux dispositions de l’article L 132-10 du code de la propriété intellectuelle, les contrats d’édition ayant pour objet l’édition d’un livre doivent prévoir un minimum de droits d’auteur garantis par l’éditeur. Cette nouvelle règle édicterait par ailleurs que ce minimum garanti doit être versé au plus tard à la remise du manuscrit et est définitivement acquis à l’auteur lorsque ce dernier a livré sa création.

 

7/ Thématique sur les prestations supplémentaires :

Le collège Auteurs a unanimement constaté un phénomène d’accroissement dans le temps des prestations supplémentaires demandées à l’auteur, allant au-delà de l’obligation principale de livraison de l’œuvre telle que prévue par le code de la propriété intellectuelle et qui, pourtant, ne sont pas rémunérées. Ces prestations peuvent relever de l’activité d’éditorialisation ou de promotion de l’œuvre, avant ou après sa publication. Pour le CPE, ces prestations doivent être rémunérées en toutes circonstances et en droit d’auteur, les revenus de ces prestations techniques étant liés à leurs œuvres, entrant donc dans le champ d’application du décret du 28 août 2020 sur les revenus artistiques. En aucun cas, cette rémunération ne doit venir en amortissement de l’à-valoir versé à l’auteur.

 

Extrait de la proposition du ministère sur la thématique 7 :

Les services du ministère de la culture (DGMIC – SG) ont proposé que lorsque l’éditeur demande à l’auteur une prestation supplémentaire qui va au-delà de ce que prévoit l’article L. 132-9 du code de la propriété intellectuelle et que cette prestation relève d’un acte de création (rédaction d’une 4èmede couverture ou d’un livret de présentation, réalisation d’une affiche,…), celle-ci doit non seulement faire l’objet d’une stipulation dans le contrat d’édition mais également donner lieu à une rémunération en droits d’auteur.

Les services du ministère de la culture ont invité le SNE à faire évoluer son modèle de contrat afin de clarifier le plus possible le périmètre et les modalités des prestations supplémentaires attendues de l’auteur, qu’elles puissent être reliées à un travail d’éditorialisation ou à une activité de communication ou de promotion. D’une manière générale, les principales tâches confiées à l’auteur, au-delà des obligations principales caractéristiques du contrat d’édition, devraient figurer dans le contrat.

 

Le 21 décembre dernier, un bilan a été fait par le ministère sur l’ensemble des thématiques discutées au second semestre et sur les conclusions qu’il est possible de tirer de l’ensemble de cette concertation.

À ce stade, aucun des sujets ne fait consensus mais certains vont pouvoir faire l’objet d’échanges avec le SNE dans un avenir proche afin d’établir de nouvelles règles.

Par ailleurs, des réunions auront lieu prochainement entre auteurs et éditeurs pour déterminer les conditions d’existence d’une commission de conciliation dont l’objet serait de résoudre à l’amiable les conflits entre auteurs et éditeurs.

 

Photos : Maïa Bensimon. Crédit : Nathalie Orloff.

Emmanuel de Rengervé. Crédit : Snac.

Cet entretien a été publié dans le « Bulletin des Auteurs » n° 156 du Snac, en janvier 2024.

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