Bulletin des Auteurs– Quelle est la genèse de la « commission de conciliation » entre auteurs et éditeurs ?

Nathalie Orloff– Il se trouve qu’en 2014, des négociations se sont engagées entre le CPE et le SNE dans le cadre de la réforme des dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives au contrat d’édition en vue de les adapter à l’ère du numérique, le CPI datant de 1957.

Les représentants des auteurs que nous sommes souhaitaient l’instauration de deux contrats d’édition séparés : l’un pour l’exploitation du livre sous format papier ; l’autre pour l’exploitation sous format numérique. Nous ne l’avons pas obtenu.

Cependant, du fait, à cette époque, du peu de visibilité du modèle économique de l’exploitation numérique en matière de livre, le point 6 de l’accord interprofessionnel conclu le 1er décembre 2014 entre le CPE et le SNE prévoit, au sein du contrat d’édition, une clause obligatoire dite de « rendez-vous » ou de « réexamen »permettant une véritable renégociation des conditions de rémunération pour l’exploitation numérique, afin de prendre en compte les évolutions du marché et des usages.

L’article L 132-17-7du CPI dispose ainsi qu’en cas de refus de réexamen ou de désaccord, l’une ou l’autre des parties peut saisir une « commission de conciliation », composée à parité de représentants des auteurs et des éditeurs, dont l’avis est rendu dans les quatre mois suivant la saisine. La commission rend un avis qui ne lie pas les parties. La consultation de la commission n’est pas un préalable obligatoire à la saisine d’un juge.

Or, dix ans après, cette « commission de conciliation » n’a toujours pas vu le jour !

En effet, au moment de se mettre d’accord sur la constitution et le fonctionnement de cette commission, de nombreuses difficultés sont apparues aux organismes représentatifs du secteur (éditeurs/ auteurs) : les représentants des éditeurs mettant notamment en avant de potentiels conflits d’intérêts et d’atteintes au droit de la concurrence entre pairs (du fait par exemple de la transmission d’informations sur les taux de rémunération prévus dans les contrats) et posant des questions quant à la confidentialité du processus ; les représentants des auteurs s’interrogeant sur la portée des décisions de cette commission : s’agira-t-il de simples avis ? De simples suggestions que les parties seront libres de suivre ou pas ? Une sorte de « jurisprudence » de la commission pourra -t-elle voir le jour ?

Or, dès la reprise de la concertation entre auteurs et éditeurs sur l’équilibre de la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs dans le cadre des missions Sirinelli I et II diligentées en 2021 et 2022, puis sous la houlette des services du ministère de la Culture en 2023/ 2024, le secteur s’est trouvé confronté au caractère impératif de la mise en place de cette « commission de conciliation » prévue dans les textes. Elle fait aujourd’hui l’objet d’une thématique numéro 8 (distincte des autres thèmes abordés dans le cadre des discussions en cours), confiée à un groupe de travail composé essentiellement de juristes, tant du côté auteurs que du côté éditeurs.

Des réunions en formation restreinte ont bien lieu, qui abordent le sujet de manière plus pointue, afin qu’il aboutisse. Tout le monde semble d’accord pour que le champ de compétence de cette commission soit élargi pour traiter de : « tout conflit individuel qui pourrait naître entre un auteur et son éditeur, lié à la négociation, la conclusion, l’exécution, et la rupture du contrat d’édition ».

B. A.– Quel sera son fonctionnement ?

N. O.– Le débat existe encore entre organisations d’auteurs sur le choix de la forme : « conciliation » ou « médiation », à donner à cette commission. Dans l’accord de 2014, c’est le mot « conciliation » qui est employé.

Or, même s’il est conscient que le secteur économique diffère de celui de l’édition, le groupe de travail a commencé à réfléchir sur la base de l’exemple de l’Amapa (Association de médiation et d’arbitrage des professionnels de l’audiovisuel) dont la Scam (Société civile des auteurs multimédia) est membre associé. Il s’agit ici de « médiation ».

L’Amapa est née il y a plus de vingt ans de la volonté des professionnels du secteur de renouer le dialogue entre les parties à un différend, de manière amiable, en mettant auteurs/ réalisateurs sur un pied d’égalité, indifféremment de leurs moyens respectifs.

Il faut savoir qu’un flou demeure dans la définition donnée de la médiation depuis la transposition de la directive européenne du 21/05/2008 sur « certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale », la médiation en France est définie ainsi : « La médiation s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elle ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. »

Cette définition englobe tout à la fois : la médiation menée par un médiateur, la conciliation conduite par un conciliateur de justice. La conciliation est très proche de la médiation. Cependant, le conciliateur (auxiliaire de justice) intervient activement en donnant son avis et en orientant les parties. Il est plus incitatif que le tiers médiateur dans la recherche d’un accord.

Le médiateur est une personne neutre choisie par les parties d’un commun accord, n’exerçant aucun pouvoir de décision. Le médiateur ne rend pas d’avis, il s’attache à déminer la charge émotionnelle chez les parties, qui n’arrivent plus à s’entendre parce qu’elles sont enfermées dans leur position respective. Le médiateur est là pour faire comprendre à chacune des parties la position de l’autre, pour qu’elles puissent s’écouter. Il doit les aider à définir les besoins et intérêts de chacune et rechercher s’il pourrait exister un point de convergence qui mette fin au différend et préserve les relations futures, bien au-delà du cadre strictement juridique des termes de leur différend.

Dans l’esprit de certaines organisations d’auteurs, l’avantage précisément du choix de la conciliation résiderait dans l’avis donné aux parties par le conciliateur, avis qu’elles pourraient produire devant le juge en cas d’échec du processus.

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que, quel que soit le processus choisi, « conciliation » ou « médiation », le principe du respect de la confidentialité relève de l’essence même des modes amiables de règlement des conflits. En effet, la confidentialité conduit à la confiance des parties d’entrer dans ce processus. Il en résulte que les constatations du médiateur, les propos recueillis, les avis du conciliateur ne peuvent être (sauf exception) invoqués ou produits dans le cadre d’une instance judiciaire sans l’accord des deux parties.

Dans les deux cas, la personne tierce doit être choisie d’un commun accord entre les parties, qui sont les représentants des auteurs et des éditeurs. Il doit faire preuve d’indépendance par rapport à l’objet du différend (n’avoir aucun conflit d’intérêt avec l’une ou l’autre des parties ou bien en faire part de manière transparente) ; demeurer impartial par rapport aux parties et neutre en accordant un temps de parole équivalent à chacune.

En tout état de cause, le médiateur est tenu de rédiger un rapport annuel, qui répertorie, sous une forme anonymisée, les différents types de litiges qui lui ont été soumis. Un tel rapport pourra précisément servir de base à un ajustement vertueux de la charte des bonnes pratiques négociée avec le SNE, sans publicité sur les dossiers individuels.

B. A.– Le passage devant la commission de « conciliation » conventionnelle pourrait-il être un préalable obligé à la saisine du juge ?

N. O.– Non, sinon la conciliation ne serait pas dite conventionnelle, mais judiciaire, c’est-à-dire décidée par le juge. Cependant, l’insertion d’une clause de recours à l’Amapa avant tout litige judiciaire est insérée dans les contrats-types de production audiovisuelle, ce qui s’impose alors aux parties.

Une telle clause pourrait-elle figurer dans les contrats d’édition, avec l’accord ou non des deux parties ? Le CPE y réfléchit. Le SNE semble aujourd’hui rassuré sur la garantie posée par le principe de confidentialité.

De nombreux litiges pourraient ainsi être résolus sans aller devant la justice, ce qui représente un coût élevé pour les auteurs qui souvent renoncent à porter leur litige devant les tribunaux.

B. A.– Le médiateur doit-il connaître le droit de la propriété intellectuelle ?

N. O.– En théorie, un bon médiateur n’a pas forcément besoin d’appartenir à la profession, quitte à faire appel à un expert pour aider les parties à y voir plus clair, ou avoir un co-médiateur spécialisé dans le domaine concerné. Tout dépend de l’ampleur économique du litige. En tout état de cause, le médiateur doit être impérativement formé aux modes alternatifs de règlement des conflits et aux techniques d’écoute et de communication liées à la mise en œuvre du processus. Une connaissance de la matière lui offre, il est vrai, une légitimité plus forte vis-à-vis des parties.

B. A.– Qui finance ?

N. O.– Normalement, afin de responsabiliser les parties dans la volonté réciproque de rechercher une solution à leur conflit, chacune des parties doit rémunérer le médiateur, avant la médiation, dans la mesure où le médiateur n’a pas d’obligation de résultat. Néanmoins, les parties peuvent toujours convenir d’un partage non égalitaire entre elles pour tenir compte du déséquilibre financier de l’une des parties par rapport à l’autre. Cela pourrait faire l’objet d’un accord avec l’éditeur, qui pourrait prendre en charge une plus grande part ; les OGC pourraient aider l’auteur membre de leur organisation à payer sa part voire une partie. Une participation financière de chacun paraît nécessaire pour que chacun soit réellement impliqué. Sinon on peut aller en médiation sans avoir vraiment envie que cela aboutisse. Au regard du coût d’un procès (avocats, temps passé, attendre parfois plusieurs années le versement des sommes en réparation), le coût d’une médiation est réduit. Il varie selon l’importance du litige. En moyenne, une médiation coûte 150 euros à chacune des parties. Pour trois ou quatre heures de médiation.

Nous devons aussi trouver le financement de la structure elle-même. Le SNE, le Centre national du Livre, certaines OGC pourraient participer. Le poste de la personne qui gérera les dossiers sera également à prendre en compte. Est-ce qu’un rapprochement avec l’Amapa est envisageable pour mettre en commun un certain nombre d’éléments ? De nombreuses questions demeurent encore en suspens mais nous avons bon espoir que cette commission voie le jour d’ici fin 2024.

 

Cet entretien est paru dans le « Bulletin des Auteurs » n° 157, en avril 2024.

Portrait photographique de Nathalie Orloff. Crédit : Jérôme Hubert.

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