Réforme des retraites, régime universel, faisons le point sur le flou !
Un entretien, le 10 janvier 2020, avec Patrick Lemaître, membre du groupement Musiques actuelles, vice-président de l’Unac, président du RACL, vice-président de l’Ircec, trésorier adjoint de la Sacem et secrétaire général de l’association gastronome ACEG.
Bulletin des Auteurs – Pouvez-vous rappeler ce que recouvre l’acronyme Ircec ?
Patrick Lemaître – L’Ircec, pour Institution de retraite complémentaire de l’enseignement et de la création, est la Caisse nationale de retraite complémentaire qui gère nos trois régimes : le RACD (pour les auteurs et compositeurs dramatiques et auteurs de films), le RACL (pour les auteurs et compositeurs rattachés à la Sacem) et le RAAP, commun à toutes les professions de créateurs. L’Ircec est le seul organisme qui rassemble l’ensemble des créateurs français rémunérés sous forme de droits d’auteur, notamment les auteurs et les compositeurs. Sa gestion efficace, par les auteurs eux-mêmes, a permis de constituer des réserves de près de 600 millions d’euros, réserves qui, dans le système actuel, permettent d’envisager sereinement le paiement des pensions futures.
B. A. – Quel est votre sentiment face à la retraite universelle ?
P. L. – Aujourd’hui nous traversons un extraordinaire déficit de confiance à l’égard du gouvernement. Lorsque vous vous dites : « Je n’ai pas confiance en cette personne », le dialogue ne peut aboutir. Les concessions qui ont été proposées aux auteurs et compositeurs ne sont en rien gravées dans le marbre. Impossible dans ces conditions d’emporter l’adhésion, sauf à être totalement naïf. On ne peut pas décider d’instaurer un régime universel et après coup seulement envisager les spécificités des uns et des autres. Ces spécificités, réelles et légitimes, prouvent le caractère contradictoire d’un régime universel, cela se constate désormais pour des tas d’autres secteurs professionnels.
Défendre les plus faibles d’entre nous, oui. Mais spolier les élites, non !
Les artistes-auteurs cotisent pour leur retraite complémentaire dès lors qu’ils atteignent le seuil d’affiliation défini par chacun des régimes. Le RACL a abaissé le sien à 2 737 euros (valeur 2020) afin de prendre en compte les auteurs et compositeurs qui signent une œuvre à plusieurs et perçoivent donc moins de droits d’auteur. Les auteurs du RACL cotisent à 6,5 % auprès de ce régime, à 8 % auprès du RACD (s’ils perçoivent des droits de diffusion de la SACD ou des droits d’auteur issus de productions audiovisuelles) et à 4 % auprès du RAAP, s’ils cotisent déjà au RACL ou au RACD.
Si nous prenons l’exemple des artistes-auteurs qui ont la chance d’avoir un talent reconnu internationalement, qui font rayonner la culture française et qui touchent beaucoup de droits d’auteur, ils cotisent, dans le système actuel, au régime général de retraite jusqu’à un plafond d’environ 40 000 euros. Au-delà de ce montant, ils s’acquittent aussi, au titre du régime général, d’une cotisation de solidarité, non attributive de droits. Ce à quoi s’ajoutent leurs cotisations aux régimes obligatoires de retraite complémentaire qui disposent quant à eux de leurs règles propres en matière de seuils et de plafonds de cotisations. Le plafond du RAAP est à environ 120 000 euros, celui du RACD est à 485 000 euros environ, celui du RACL à un peu plus de 370 000 euros. Vous pouvez donc cotiser jusqu’à ces plafonds, et en déduire les montants de votre revenu imposable.
Dans le projet de régime universel dont nous avons connaissance à ce jour, le plafond de cotisation serait fixé à environ trois fois le Pass, soit 120 000 euros. Par conséquent, ces mêmes auteurs ne pourraient cotiser que jusqu’à ce plafond de revenus et se verraient « floués » d’une large partie de la retraite à laquelle ils ont droit aujourd’hui et, qui plus est, au-delà de ce plafond seraient ponctionnés d’une cotisation de solidarité de 2.8%, supérieure de 60 % à celle d’aujourd’hui, celle-ci étant toujours également non attributive de droits. L’argument entendu selon lequel ils seraient libres de signer un contrat d’assurance privé noie le poisson car les montants cotisés pour ces contrats, d’une part, ne sont pas déductibles fiscalement, et, d’autre part, ne présentent pas le même taux de rendement. Dans le régime universel, quand bien même nous conserverions le pilotage de nos régimes de retraite complémentaire, comment assurer leur pérennité si nous ne pouvions collecter qu’auprès des seuls auteurs et compositeurs dont les revenus dépassent 120 000 euros ? Celles et ceux qui se trouveraient floués par le régime universel pourraient par ailleurs, et d’une manière tout à fait légale, échapper au système par le biais de savants montages financiers adaptés. On peut être sûr que quelques avocats-conseils ne manqueraient pas, en temps utile, de les leur faire connaître ! J’ajoute que si cela me navre je ne peux que les comprendre.
B. A. – Que pensez-vous d’un âge pivot à 64 ans ?
P. L. – Un âge pivot à 64 ans limiterait l’effet pervers de ce que l’on appelle la « loi cumul emploi-retraite », entrée en vigueur ces toutes dernières années. En effet le RACL perçoit aujourd’hui des cotisations non attributives de points de la part d’auteurs compositeurs qui ont été dans la nécessité de liquider leur retraite du régime général à l’âge de 62 ans, et se sont retrouvés obligés, de par cette « loi cumul emploi-retraite », de liquider en même temps leur régime de retraite complémentaire. Or le RACL dispose d’un principe qui prévoit un décalage de cinq ans entre l’âge d’ouverture des droits au régime général et l’âge de liquidation des droits au RACL. Aujourd’hui il faut donc atteindre l’âge de 67 ans pour liquider ses droits. Auparavant, cette mesure de décalage de l’âge permettait aux auteurs-compositeurs de continuer à cotiser sur leurs droits d’auteur en se voyant attribuer des points, même s’ils avaient liquidé leur retraite du régime général. Le RACL ne peut revenir en arrière pour des raisons évidentes d’équilibre économique du régime. En conséquence, ces personnes obligées de liquider leur retraite à 62 ans parce qu’elles ont peu de ressources doivent, dorénavant, depuis cette « loi cumul emploi-retraite », soit, cotiser durant cinq années à 6,5 % sur les droits d’auteur qu’elles touchent, sans que ces cotisations ne leur soit attributives du moindre point, soit, liquider leurs droits au RACL mais avec une décote sensible de 5 % par an, créant une minoration de leur pension. C’est pour le moins choquant, certains considèrent que cela s’apparente à du vol autorisé ! Mais ce sont là les effets pervers de cette loi manifestement injuste pour les auteurs. En revanche, et c’est heureux, ces cotisations de 6,5 % sont toujours attributives de points si vous n’avez pas liquidé votre retraite du régime général. Encore faut-il le pouvoir. J’éprouve un réel sentiment de honte, en tant que président d’un régime de retraite complémentaire, d’imposer à certains de nos membres, et surtout aux plus fragiles, une telle situation. Et maintenant une autre question se pose : si l’âge pivot passe à 64 ans, le RACL va-t-il mettre l’âge de la liquidation à 69 ans ? S’il nous est permis de conserver le pilotage de notre régime, je m’engage à dire que non, ce ne sera pas le cas. Et par ailleurs, si le gouvernement s’empare de nos réserves et de notre pilotage, gèreront-ils ces réserves aussi bien que nous avons su le faire ? Cette question vaut pour nos trois Régimes, mais aussi pour les nombreuses Caisses de retraite complémentaires d’autres secteurs professionnels qui, désormais, ont raison de partager les mêmes inquiétudes que nous.
B. A. – Comment voyez-vous l’avenir du RACL ?
P. L. – En moins de dix ans, l’économie du RACL est passée de 30 millions d’euros à plus de 80 millions d’euros. Nous avons véritablement consolidé notre régime, en prenant des décisions qui nous engagent pour l’avenir. Si nous avions maintenu notre taux de rendement à 10 %, le RACL se serait retrouvé en déficit technique à partir de 2023. Le taux de rendement du RACL est aujourd’hui de 6,2 %, ce qui est un taux encore bien supérieur à beaucoup d’autres régimes. Par ailleurs, nous avons mis en place une cotisation de solidarité de 1,5 point, non attributive de droits, sur les droits d’auteur que nous touchons lorsque nous avons liquidé notre retraite du RACL. Il est à noter que cette cotisation reste bien inférieure à celle du régime de base.
Nos régimes de retraite complémentaire sont en pleine santé. Le RACL dispose de plusieurs années de réserves, tout comme le RACD et le RAAP. Comme le dit Olivier Delevingne, président de l’Unac et administrateur du RACL : « Pourquoi veut-on réparer quelque chose qui n’est pas cassé ? » Il n’y a pas de réponse sensée à cette objection. Pourquoi l’État veut-il faire main basse sur nos réserves et sur le pilotage de nos régimes ? Si l’État n’était pas l’État, on parlerait d’un hold-up ! Fort heureusement, la loi prévoit que ces réserves ne peuvent bénéficier qu’à celles et ceux qui les ont constituées. Mais si l’État les pilote à la place des gens du sérail, auteurs et compositeurs, et que les technocrates entrent en scène, nos adhérents perdront toute la dimension bienveillante qui prédominait dans nos décisions. Dans un régime de retraite, tout tient au pilotage. L’État pourra faire ce qu’il voudra, augmenter les cotisations, baisser les taux de rendement, geler les pensions, voire financer le maintien de l’exonération de la part patronale avec nos réserves. C’est dans vingt ou trente ans que pourront se constater les effets de la retraite universelle. Il sera alors bien trop tard pour s’en plaindre, celles et ceux qui en seront les victimes ne pourront que s’en lamenter, et c’est ce qui nous motive pour aujourd’hui mener ce combat pour eux. Quant à beaucoup d’entre nous, dans trente ans nous serons vraisemblablement morts !
B. A. – Quelles sont les revendications de l’Ircec ?
P. L. – L’Ircec est donc une Caisse de retraite complémentaire, c’est un organisme privé chargé d’une mission de service public. À ce titre, et en tant que telle, elle ne porte pas de revendications. En revanche, cette institution est gérée par des artistes-auteurs, pour des artistes-auteurs qui, eux, ont bel et bien des revendications aussi bien concernant le devenir de leur Caisse que, plus globalement, les futurs droits à retraite de ses cotisants. Ainsi, nous en avons beaucoup, mais parmi les plus importantes nous souhaitons que l’État prenne en charge le maintien de l’exonération de l’équivalent de la part patronale jusqu’à 120 000 euros, ou, à défaut de prise en charge de la part employeur entre 1 et 3 Pass, pouvoir cotiser au même taux de rendement qu’aujourd’hui pour cette tranche, conserver le pilotage de nos régimes et de nos réserves, et le RACL demande que les auteurs puissent continuer à cotiser au-delà de 120 000 euros, avec des cotisations déductibles du revenu imposable. De plus, le caractère très volatil de la profession d’auteur doit également être pris en considération : les droits d’auteur peuvent être importants une année, très modestes l’année suivante. La retraite à points engendrerait des différences extrêmement sensibles de montants de retraite, à revenus égaux. En effet, selon que vous gagnez régulièrement 120 000 euros par an pendant quarante années (ce qui n’existe pas !), ou que vous gagnez, en droits d’auteurs, une année 10 000, une année 220 000, une année 20 000, et la dernière 230 000, même si au bout du compte vous avez perçu en moyenne le même montant de droits (dans l’exemple, 480 000 en quatre ans), dans le Régime universel tel qu’il est aujourd’hui présenté, votre retraite d’auteur sera d’un montant bien inférieur dans le second cas, du fait du traitement des variations de droits d’auteur perçus annuellement. Ceci est l’un des points que nous souhaitons voir pris en compte en demandant l’instauration d’un lissage des revenus sur plusieurs années (à définir) permettant d’acquérir un nombre de points égal aux montants des droits d’auteur perçus.
Je vous accorde que tout cela doit être bien compliqué à discerner pour la plupart de nos lecteurs et je ne peux que féliciter et remercier celles et ceux qui auront eu le courage d’aller jusqu’au bout de mon humble exposé.