La mission confiée à un compositeur lors d’une commande de musique de film est aujourd’hui beaucoup plus large que la « simple » remise d’une partition. À l’heure où l’on parle d’un statut professionnel de l’auteur, il est peut-être temps de réfléchir à cette double casquette d’auteur et technicien, pour imaginer un statut inspiré par celui du réalisateur d’images.

On m’a confié la composition de la musique originale d’un documentaire, je travaille dans mon home-studio : j’y écris un thème, le décline, l’arrange et l’interprète à l’aide d’instruments, souvent virtuels, afin de faire entendre une maquette au réalisateur et à la production du film. Je modifie ensuite cette maquette selon leurs retours et les changements de structure du film. Une fois, deux fois, parfois plus. Quand la musique est validée, je devrais avoir achevé mon travail de compositeur. Mais… non.

Car ensuite je mets en page des partitions.

Puis j’enregistre un ou plusieurs interprètes – au moins moi-même.

Puis j’édite la matière enregistrée.

Puis je synchronise sur les images.

Puis je mixe.

Puis je « masterise » au niveau requis par le média final.

Puis je démixe sous forme de « stems »[1] : thème, accompagnement, section rythmique…

Enfin, je livre la musique sous une forme audionumérique, prête au mixage du film.

Ouf, c’est fini. Ah non, j’oubliais ! Il me faut encore renseigner la « cue-sheet »[2].

Bref : cette musique, je la compose et je la réalise, de bout en bout, seul. Comment pourrais-je faire autrement, avec un budget musique tout compris qui dépasse péniblement les 3 000 euros pour la musique d’un documentaire de 52 minutes ?

Je constate par ailleurs que quand le film dispose d’un budget plus conséquent pour sa musique, ces fonctions que j’assurais seul, le plus souvent sur ma rémunération d’auteur, sont prises en charge par des techniciens ou artistes salariés par la production : orchestrateurs, ingénieurs du son, interprètes, monteurs musique…

Ce fonctionnement, la plupart d’entre nous devrait pouvoir s’y reconnaître.

Et nous devrions donc être d’accord pour dire que notre travail n’est pas seulement un travail d’auteur : comme décrit plus haut, nous assurons, dans la grande majorité des commandes, des fonctions de réalisateurs et interprètes de la musique. Quand nous travaillons seul, reconnaissons même que nous pouvons passer plus de temps à réaliser qu’à composer.

Aussi nous pourrions nous inspirer du statut et modes de rémunération obtenus par les réalisateurs d’images. Nous pouvons lire sur le site de la SACD :

« Les réalisateurs sont à la fois auteurs – rémunérés en droit d’auteur pour la partie création de leur activité – et techniciens (rémunérés en salaire). Chacun de ces aspects doit faire l’objet d’un contrat spécifique (ou d’un contrat en deux parties). »[3]

On parle bien ici du réalisateur considéré comme auteur d’une mise en scène. Il peut par ailleurs être auteur du scénario, des dialogues, auquel cas il s’agit encore d’un contrat d’auteur à part.

Pour les réalisateurs, l’usage, rendu nécessaire par les vérifications du CNC sur les aides attribuées, consolidé par une convention collective qui détermine des salaires minimaux, est que le réalisateur touche au moins autant en salaires qu’en droits d’auteurs, toujours en mettant de côté son éventuel rôle d’auteur du scénario.

N’est-il pas temps, sur ce modèle, de faire reconnaître la valeur technique du travail que nous fournissons quand nous répondons à une commande ? À l’instar des réalisateurs, nous devrions collectivement réfléchir à une estimation du coût de ce travail, et à sa juste rémunération, en partie en droits d’auteurs, en partie en salaires. Depuis 2016 le groupement Musique à l’image du Snac a entamé un travail qui devrait aboutir à des recommandations de tarifs minimaux de primes de commandes. Pourquoi ne pas aller plus plus loin encore dans nos revendications avec l’invention de ce statut de compositeur-réalisateur de musique ?

En éclairant la part de l’auteur et celle du technicien, il consoliderait le statut professionnel de l’auteur. En chiffrant la part technique d’une commande, il donnerait à la musique à l’image une plus juste valeur. Enfin et surtout, en posant les bases d’une rémunération minimale, il répondrait certainement à une demande de plus plus forte des compositeurs à l’image débutants, qui doivent aujourd’hui négocier leurs tarifs sans aucun repère.

[1] Livraison en stems : la musique mixée est livrée en plusieurs pistes séparées, afin de permettre un rééquilibrage des parties instrumentales lors du mixage du film.

[2] Cue sheet : document lié au programme, qui indique les occurrences et durées des musiques synchronisées, avec leur titre, origine, et leurs ayants droit.

[3] https://www.sacd.fr/la-rémunération-des-auteurs-en-télévision-cinéma-radio-web

 

Cette Tribune libre a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 142 (septembre 2020)

Photo : Yan Volsy – Crédit : Caroline Roussel.

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